Le cinquième numéro de La tête et les cornes poursuit ce qui fait la singularité de cette revue de poésie : privilégier les traductions, élargir le champ de notre perception et compréhension de la poésie contemporaine, ouvrir la poésie à sa pluralité, l’interroger comme espace commun de cette pluralité irréductible – la poésie étant alors le contraire d’une langue composée de mots d’ordre, l’inverse d’une langue surplombante et unifiée.
Ben Lerner
John Berger, né à Londres en 1926, mort le 2 janvier 2017, vivait en France depuis des dizaines d’années, en Haute-Savoie. Peintre, écrivain, critique d’art, scénariste, il nous a offert une œuvre exigeante, engagée, un travail sur les mutations du monde, les exils, entre étude sociétale et imaginaire, mêlant les genres, travaillant la richesse de leur caractère hybride. Lauréat du Booker Prize en 1972, il fit scandale en reversant publiquement aux Black Panthers la moitié de la somme reçue. La littérature, et plus généralement l’art, il les concevait comme résistance au système et engagement, dans la permanence et l’exigence d’une recherche tant formelle que politique.
En 2014, les lecteurs français découvraient Ben Lerner à travers son premier roman, Au départ d’Atocha (publié en 2011 aux USA). Lui-même se considérait pourtant moins comme un primo-romancier que comme un poète, entretenant un rapport contrasté à une forme narrative qu’il considère toujours, alors que vient de paraître 10:04, son second roman, comme un « cadre » labile et polyphonique propre à mettre en perspective les rapports de la fiction et de la non-fiction, de la poésie et de la prose, d’un «je» à la fois exposé et mis à distance.
Cette après-midi, deux tables rondes du Festival America seront animées par la Diacritik Team : American Poets, par Christine Marcandier avec Kevin Powers, Alysia Abbott, Ben Lerner, Laura Kasischke et Into The Wild, par Sophie Quetteville, avec Pete Fromm, Emily Saint John Mandel et Dan O’Brien.
La 8ème édition du Festival America aura lieu, à Vincennes, du 8 au 11 septembre prochain, rendez-vous incontournable pour les amateurs de littératures américaines. Diacritik est associé à plusieurs de ces rencontres et vous propose, durant l’été, de revenir sur quelques-uns des auteurs invités. Aujourd’hui, Ben Lerner, né au Kansas en 1979, dont les lecteurs français ont pu découvrir Au départ d’Atocha, son premier roman, en 2014, aux éditions de l’Olivier. Son second roman, 10:04, paraît le 25 août prochain. Les deux ont été traduits par Jakuta Alikavazovic.
De l’inquiétude
Je suis d’un naturel inquiet. Dans mon premier roman, Paris s’émiette et fond sous une pluie corrosive. Dans mon deuxième roman une jeune femme disparaît comme si ce n’était rien, comme si c’était facile et évident de disparaître, comme si au fond c’était la permanence, le scandale – et non les ruptures qui nous dévient de nous-mêmes. Dans le troisième, des œuvres d’art se dégradent, se transforment : des images bien aimées, à titre privé ou collectif, deviennent irregardables.
Dans Flaubert à La Motte-Picquet, Laure Murat souligne le rapport intime et presque consubstantiel entre littérature et déplacement en train. Prenons-la au mot, avec un carnet de voyage et des arrêts dans quelques textes récents, en images.