1 million cent-soixante mille. C’est le nombre d’occurrences concernant l’actualité de Marcel Proust donné en 0,36 secondes par Google ces jours-ci. Le feu d’artifice du centenaire de l’écrivain n’en finit pas d’exploser dans les médias mais faut-il automatiquement s’en réjouir ? Y a-t-il vraiment autant de Proust que de lecteurs de Proust ? Quelques éléments de réponse grâce à l’écrivain Thomas A. Ravier, auteur d’un essai sur Proust, Éloge du matricide (2007, Gallimard).
Le temps retrouvé
Le titre assume une forme de paradoxe : Proust était un neuroscientifique. Le sous-titre se veut plus explicite : Ces artistes qui ont devancé les hommes de science. L’essai Jonah Lehrer pourrait être placé sous l’exergue de ces phrases fabuleuses d’Apollinaire, notant qu’« un mouchoir qui tombe peut être pour le poète le levier avec lequel il soulèvera tout un univers » : « Tant que les avions ne peuplaient pas le ciel, la fable d’Icare n’était qu’une vérité supposée. Aujourd’hui, elle n’est plus une fable. (…) Je dirais plus, les fables s’étant pour la plupart réalisées et au-delà, c’est au poète d’en imaginer de nouvelles que les inventeurs puissent à leur tour réaliser ».
Le 4 décembre 2019, Jacques Dubois se lance dans une grande entreprise de relecture (dia)critique de la Recherche, par « arrêts sur images » et scènes du grand roman proustien. La série s’achève un an plus tard, le 18 décembre 2020, après 60 billets proustiens. Alors que Le Temps retrouvé figure au programme de l’agrégation de lettres 2023, pourquoi ne pas retraverser l’ensemble du livre en 7 volumes à travers cette série d’un grand proustien ?
C’est après avoir pris conscience de l’emprise du Temps sur sa personne que Marcel entend se mettre au travail en avouant que son ambition est immense.
Gilberte présente sa fille de seize ans à Marcel qui la trouve bien belle tout en taisant son prénom.
Rose stérilisée dans sa vieillesse, Odette de Crécy ne désarme pas. Elle est devenue la maîtresse du duc de Guermantes qui ne lui laisse guère de liberté.
Soirée chez la Princesse. Vieillissante mais protégée par une Oriane qui déteste Gilberte, Rachel est invitée à dire des fables de La Fontaine, ce qu’elle fait calamiteusement.
Soit un portrait comme il en est peu dans la Recherche. Un portrait « en pied » mais tout en glissements.
“Le Bal de têtes” est largement une réflexion sur le temps qui passe et sur les souvenirs selon lesquels chacun ordonne son passé, le sien et celui des autres.
Au nombre des invités du « Bal de têtes », Marcel reconnaît un homme politique qui, ministre boulangiste autrefois, fut compromis dans l’affaire des chèques du canal de Suez et fit de la prison.
Au temps de Combray et de la jeunesse de Marcel, le charmant Legrandin fut l’incarnation même du snob.
On vient d’apprendre que Robert de Saint-Loup est mort au front alors qu’il protégeait la retraite de ses hommes.
Au fond d’un amour, il est toujours quelque rêve, nous apprend le narrateur, rattaché à une personne ou à plusieurs ou encore à une représentation.
Une bombe tombe dans le quartier alors que Marcel vient de sortir de la maison de passe de Jupien. La ville est plongée dans l’obscurité.
La présente séquence à la maison de passe de Jupien fait partie de ces scènes fantasmatiques comme il en est plus d’une dans la Recherche.