Billet proustien (53) : Legrandin et la flèche du Parthe

Marcel Proust (Wikimedia Commons)

Au temps de Combray et de la jeunesse de Marcel, le charmant Legrandin fut l’incarnation même du snob. Jusqu’à donner dans un snobisme de double bind, puisque l’ingénieur niait qu’il aimait la compagnie des duchesses tout en la convoitant à sa façon. Et puis vint le mariage de son neveu Cambremer avec Mademoiselle d’Oléron qu’avait adoptée Charlus. Legrandin entrait ainsi dans le clan Guermantes sans trop l’avoir voulu.

Il se mit alors à fréquenter bizarrement de vagues confins populaires mais n’en est pas moins présent à la matinée que donne la princesse de Guermantes, l’ancestrale Sidonie. Or, Marcel observe que son ami d’antan s’est « décoloré » lèvres et joues : « La suppression du rose, que je n’avais jamais soupçonné artificiel, de ses lèvres et de ses joues donnait à sa figure l’apparence grisâtre et aussi la précision sculpturale de la pierre, sculptait ses traits allongés et mornes comme ceux de certains dieux égyptiens. » Et d’ajouter comme en note : « Dieux ; plutôt revenants. »

Peu indulgent donc, notre narrateur prête à l’ami de Combray un renoncement  proche d’une une désertion : « Il avait perdu non seulement le courage de se peindre mais de sourire, de faire briller son regard, de tenir des discours ingénieux. »

Et Marcel d’appuyer comme s’il liquidait une ancienne rancune en ces termes emberlificotés : « On se demandait quelle cause l’empêchait d’être vif, éloquent, charmant, comme on se le demande devant le « double » insignifiant d’un homme brillant de son vivant et auquel un spirite pose pourtant des questions qui prêteraient aux développements charmeurs. »

La cause en serait simplement la vieillesse encore que Marcel assortisse l’argument d’une méchante flèche du Parthe, en évoquant « le pâle et songeur petit fantôme » qu’est devenu le snob de jadis. L’ingénieur  aurait-il  rétréci ?

Le Temps retrouvé, Folio, p. 241-42.