Il s’appelle Iyad Hallaq. Iyad Hallaq est autiste. Il vit aussi avec de lourds problèmes d’audition et des problèmes moteurs. Comme chaque jour, il se rend à pied dans une institution spécialisée, le Elwyn Center, dans la vielle ville de Jérusalem. Trois balles traversent le corps de Iyad Hallaq et le tuent, trois balles tirées par un officier de la police des frontières israélienne.

L’été arrivant, vous vous laisserez peut-être tenter, si la situation sanitaire le permet, par la visite d’un des nombreux musées consacrés à la Shoah, d’un lieu de mémoire en France ou à l’étranger, ou même par la découverte d’un des camps d’extermination, parmi lesquels Auschwitz-Birkenau est celui qui attire le plus de visiteurs chaque année.

L’histoire pourrait être kafkaïenne, et Benjamin Balint le souligne dès le titre de son essai Le Dernier procès de Kafka, qui vient de paraître aux éditions de La Découverte : la saga des manuscrits et inédits de l’un des plus grands écrivains du XXe siècle, par ailleurs docteur en droit, semble tout droit inspirée du Château comme du Procès, elle est au centre de ce livre passionnant qui se lit comme un roman.

En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps (René Char, Sur la poésie)

À quoi renvoie la notion d’habiter ? À celle de demeurer dans un lieu ? Évidemment, mais pas uniquement, puisqu’il s’agit aussi d’un ensemble d’activités effectuées au sein de ce lieu pour lui conférer son statut d’habitation. Cela a donc à voir avec la façon de se comporter, de s’inscrire dans ce lieu et dans le monde, avec la manière d’y vivre, avec ses gestes, son corps. Dans le remarquable film du réalisateur israélien Eitan Green, Indoors (« dedans », « Hadrei HaBayit » en hébreu, littéralement « pièces de la maison ») – un regard sur l’espace, la filiation et le temps – un père de famille, Avraham Nawi, en passe de tout perdre, se voit contraint de quitter son logis.

« En toute simplicité et en toute impossibilité » : si l’univers d’un écrivain est tout entier contenu dans les mots qui ouvrent son premier livre, nul doute que l’œuvre de Jonathan Safran Foer doive être lue sous le signe de la disjonction, celle dont témoigne cette dédicace de Tout est illuminé (Everything is illuminated, 2002). Elle énonce un paradoxe, de ceux que les livres suivants n’auront de cesse d’explorer, comme ce troisième roman, Me voici (Here I am) qui vient de paraître aux éditions de l’Olivier, dans une traduction de Stéphane Roques : l’occasion d’un grand entretien diacritique avec Jonathan Safran Foer.

Dans A défaut d’Amérique (Actes Sud ,2012), Carole Zalberg écrivait de l’un de ses personnages qu’« elle entretient avec Israël un rapport ambigu, douloureux », « et pourtant le lien est là, qui se réveille dès qu’il est question de l’État juif dans les médias ou les conversations ». Ce n’est pourtant pas A défaut d’Amérique que cite la romancière en ouverture d’A la trace, journal de son séjour à Tel Aviv du 16 avril au 16 mai 2015 mais L’Illégitime (Naïve, 2012) et des phrases qui traduisent un même rapport paradoxal au lieu, « Israël où vit une partie de ma famille maternelle », ce pays qui est à la fois « chez moi » et un ailleurs, un là-bas pris dans un « constant sentiment d’étrangeté, une vague inquiétude ».