Zoom sur Juliette Mézenc

Juliette Mézenc © Jean-Philippe Cazier

Comme le souligne Jean-Philippe Cazier, les livres de Juliette Mézenc peuvent être lus comme une réflexion au sujet de la notion de frontière mais aussi comme une pratique des frontières – réflexion et pratique subversives puisqu’elles impliquent de nouveaux points de vue sur la frontière, des traversées et déplacements des frontières constituées du monde, des catégories, des genres, des corps, des psychismes : une subversion, une mise en crise qui concernent autant le politique, l’être du monde, que le littéraire.

C’est de cette mise en crise de la frontière et de ce qu’elle inclut comme valorisation de la « porosité », du trouble des identités, de la « traversée » comme mouvement vital dont il question dans un entretien que Juliette Mézenc a accordé à Diacritik en 2016.

Ce sont ces thèmes, ces lignes directrices qui sont également au centre d’un autre entretien réalisé en 2017, dans le cadre du Marché de la Poésie, qui réunit Juliette Mézenc, Frank Smith et Jean-Philippe Cazier, et où il est question de la nécessaire problématisation littéraire, poétique, du Je, de ses conditions et limites, pour l’avènement d’un On, d’un sujet pluriel, éphémère, nomade.

Elles en chambre (2014) apparaît effectivement comme un livre qui « se situe dans une sorte d’espace nomade et multiple où la réflexion, la rêverie, la fiction, la poésie se rencontrent pour créer un livre et un discours atypiques qui déplacent et débordent les frontières, les limites des êtres, des genres, des langages ».

Et, comme en écho, Poreuse (2017), livre où l’écriture serait définissable comme carte nomade, se présente comme un texte où « la géographie ne se sépare pas du psychisme et des corps qui l’habitent – ou plutôt la traversent, y circulent, la hantent ».

Dans Des espèces de dissolution, enfin, s’il s’agit de « S’éparpiller en particules si fines qu’elles se mêleraient à la terre et au ciel », il s’agit surtout d’une mise à l’épreuve de la littérature et de la langue, de ce qu’elles peuvent, de leurs frontières et de l’au-delà de leurs frontières, incluant dans le texte un état du monde qui le déborde, le défait, réinvente et le monde et la langue. C’est cette étrangeté du monde et de la langue que réalise Des espèces de dissolution qui est évoquée et interrogée dans un entretien que Juliette Mézenc a réalisé avec Cécile Viguier comme dans l’article que Jean-Philippe Cazier lui a consacré.

Il n’est pas étonnant que Juliette Mézenc rende une forme d’hommage à Gilles Deleuze dans un texte où il ne s’agit pas d’expliquer la philosophie de celui-ci mais de reconnaître qu’écrire, pour elle, c’est écrire avec Deleuze, puisque Deleuze « fait écrire parce qu’il écrit » ; puisqu’écrire, c’est écrire « dans l’élan d’une autre langue d’écrivain, avec ceux qui me parlent à l’oreille », le nom de Deleuze pouvant être aussi bien celui d’une autre langue avec laquelle écrire.

Et cette autre langue peut-être tout autant celle où naissent, à telle ou telle heure indistincte, les phrases fantômes, celles murmurées par une bouche étrangère, celles de la nuit, des phrases nomades, flottantes, des espèces de dissolution dans la langue, par la langue, au-delà de la langue. C’est ce que nous dit peut-être Juliette Mézenc dans un texte inédit consacré à son travail d’écriture.

 

Dans Diacritik, on peut également lire, de Juliette Mézenc, Monologue de Bassoléa. Comme on peut écouter les 10 parties d’une mise en son de ce monologue réalisée spécialement pour Diacritik par l’auteure elle-même.

Juliette Mézenc, Elles en chambre, éditions de l’Attente, 2014, 140 p., 15 €.
Juliette Mézenc, Poreuse, préface de Marie Cosnay, éditions Publie.net, septembre 2017, 166 p., 17 €.
Juliette Mézenc, Des espèces de dissolution, éditions de l’Attente, mars 2019, 168 p., 16 €.