Pilotes en séries (10) : Jupiter’s Legacy

© 2021 - Netflix

Plus lisse que la toile cirée de la table du salon de mémé et aussi subtile qu’un élu Les Républicains en campagne, Jupiter’s Legacy a beau avoir tous les ingrédients pour séduire les adeptes des films et séries de super-héros, l’héritage signé Mark Millar diffusé sur Netflix depuis le 7 mai est une belle déception à plus d’un égard.

Des enfants jouent dans la campagne, une fillette et deux garçons rejouent les aventures de Lady Liberty et Utopian pourchassant les méchants. Mais les bambins ne sont pas des enfants ordinaires et quand Chloé envoie paître (au sens propre) ses deux camarades de jeu grâce à la puissance d’un cri de colère ultrasonique, on comprend vite qu’on est davantage à l’aube d’aventures en capes et costumes moulants que dans un épisode de La Fête à la maison.

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Créé par Mark Millar à qui l’on doit de nombreux comics et romans graphiques (Kick-Ass, Kingsmen…) et des adaptations et scénarios non moins populaires (Captain America Civil War, Logan…), Jupiter’s Legacy a d’abord été une série, dessinée par Frank Quitely à partir de 2013. Sa transposition sur écran est malheureusement à des lieues des comics d’antan (Superman, Phantom) et des films populaires (King Kong, assurément) qui ont inspiré Mark Millar. Surtout, alors que depuis des années le filon des supers est exploité jusqu’à saturation, on aurait aimé un décalage bienvenu avec ce récit d’hommes et de femmes qui se voient un jour dotés d’un grand pouvoir qui « implique donc de grandes responsabilités ». Et c’est bien dommage parce que le demi-sourire et l’œil en coin d’Utopian (Josh Duhamel) faisant la leçon à sa progéniture au début du premier épisode est certainement le seul moment de second degré d’un ensemble qui se noie dans le manichéisme qu’il entend dénoncer.

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Parce qu’il est difficile de se faire une place entre les univers Marvel et DC, les héritiers de Millar sont supposés incarner une réponse à l’hégémonie super-héroïque made in US. Tandis que le mutant moyen du MCU est souvent né pour combattre les nazis, la tyrannie et le terrorisme quand il ne venait carrément pas d’une autre planète pour sauver l’humanité et nous protéger de nous-mêmes, Jupiter’s Legacy les fait naître pendant la grande dépression, mêlant crises économique et existentielle. On se surprend alors à penser que les héros de Millar auraient une conscience en découvrant qu’Utopian, Lady Liberty, Paragon et consorts obéissent à un code qui les empêche de tuer les vilains, que le service, la compassion et la clémence sont les principes fondateurs de L’Union (syndicat en VO), une société des justiciers très regardante sur son image, qui questionne l’usage excessif de la force jusqu’à s’empêcher d’intervenir durant la Seconde Guerre Mondiale, au prix de millions de morts…

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On s’ennuie un peu, voire beaucoup dès le premier épisode, déçu par l’ambivalence et les hésitations des supers qui en ont assez de se faire trucider au nom du code, surpris de ne pas retrouver le sous-texte autrement plus fin déployé dans Watchmen ou les héros dévoyés et trash de The Boys. Jupiter’s Legacy, c’est la promesse non tenue d’une série qui regarde autrement la genèse d’un groupe de justiciers sur les ruines du capitalisme. La série se perd en chemin à cause d’une mise en scène paresseuse, qui étire l’action et la ralentit même parfois à force d’allers et retours dans le passé pour expliquer jusqu’à la démonstration les ressorts psychologiques des personnages (Chloé en fille rebelle refusant son pouvoir, Paragon en fils impatient de tuer le père). Vous l’aurez compris, face à la peinture de l’Amérique des années 30 tout en poussière sépia et l'(in)action anachronique de ces pacifistes en collants, les questionnements des héros (jeunes ou vieux) ne suffisent pas à faire de Jupiter’s Legacy une bonne série qui renouvelle sinon le genre, du moins son propos.

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Jupiter’s Legacy, créée par Steven S. DeKnight, adapté des livres de Mark Millar et Frank Quitely. Avec Josh Duhamel, Ben Daniels, Leslie Bibb, Elena Kampouris, Andrew Horton, Mike Wade et Matt Lanter dans les rôles principaux. Diffusion Netflix – 2021