La déferlante Marvel n’a pas fait que des heureux : entre les cinéphiles lassés de voir débouler des super-héros en collants tous les deux mois dans les salles obscures et les fans exigeants discutant la qualité aléatoire des blockbusters ou sequels à répétition, les justiciers semblaient s’être ligués pour envahir les écrans jusqu’à l’overdose (voire l’ennui). C’était sans compter sans l’audace de Seth Rogen, Evan Goldberg et Eric Kripke qui ont décidé d’adapter le comics The Boys écrit par Garth Ennis. De la bande dessinée trash et politiquement incorrecte, les show-runners ont tiré une série non moins gonflée.
Imaginez des super héros privatisés, créés de toutes pièces à partir d’un super sérum illégal, exit les mutants accidentels et les super-gentils policés, oubliez les bons sentiments et les sacrifices sabre au clair au nom de valeurs universelles, faites place aux intérêts privés, aux mœurs discutables (jusqu’aux perversions les plus tordues), à toute la morgue et au cynisme dont le libéralisme débridé est capable.

Sur le papier, ils sont vraiment top les supers de The Boys. Propriété de Vought International, les 7 sont a priori les remparts nécessaires et suffisants contre le mal omniprésent. Homelander, Queen Maeve, A-Train, The Deep, Black Noir, Translucent et Starlight forment cette emblématique assemblée de redresseurs de torts, à l’aune de leurs pouvoirs extraordinaires (invincibilité, invisibilité, force d’amazone, maîtrise de la lumière ou morphologie d’amphibien…). Un casting idéal pour combattre le crime ? Rien n’est moins sûr.

Avec The Boys, on a tôt fait de se rendre à l’évidence : la série développée pour Amazon par Eric Kripke (Supernatural), Evan Goldberg (Sausage Party, Da Ali G Show, L’interview qui tue !) et Seth Rogen (Nos pires voisins 2, Supergrave) n’est pas un énième TV show mettant en scène des vengeurs masqués ou capés. Preuve en est avec l’avertissement liminaire qui ouvre chaque épisode : la série coche un grand nombre de cases dans l’escalade du pire. Nudité, contenu explicite, violence extrême, sexe, projections d’hémoglobine et dialogues crus… The Boys ne fait pas dans la dentelle et encore moins dans la demi-mesure.

Hughie Campbell (Jack Quaid) est un jeune homme timoré, vendeur dans un magasin d’appareils électroniques, amoureux et prêt à s’engager avec Robin quand le malheur arrive à très grande vitesse : sa petite amie est tuée par A-Train, l’homme le plus rapide de l’univers. Et le plus pressé aussi : à peine a-t-il éparpillée la jeune femme à la manière d’un œuf mollet percuté par un TGV qu’il disparaît aussi vite qu’il est venu, laissant Hughie à son malheur. C’est le moment que choisit Billy Butcher (Karl Urban) pour prendre contact avec le jeune homme et tenter de lui ouvrir les yeux sur les « supers ».

Avec sa cape étoilée et ses yeux rougeoyants, Homelander (Antony Starr, inquiétant) est un psychopathe en puissance, meurtrier dénué d’empathie, Translucent profite de son pouvoir d’invisibilité pour assouvir ses penchants voyeuristes en campant dans les toilettes des femmes, The Deep est un adepte des faveurs féminines forcées, A-Train est un junkie en puissance, accro au composant secret dont il tire son pouvoir. Billy Butcher n’a qu’une idée en tête, lever le voile, faire éclater la vérité sur ces « héros » ultra-populaires, érigés en modèles de vertus et bouclier anti-criminalité que Vought International veut louer à prix d’or au ministère de la défense. Si l’arrivée de Starlight (Erin Moriarty) parmi les 7 va quelque peu changer la donne, il n’en demeure pas moins que petit à petit, le monde va ouvrir les yeux sur les agissements de Vought, sur ses dirigeants corrompus, sur ces héros (pré)fabriqués, sur leurs failles très humaines et sur leur dangereuse omniprésence.

Hautement parodique, The Boys est un joyau de second degré et de mauvais goût, avec sa violence cartoonesque, ses multiples références en creux aux univers DC Comics (Queen Maeve a de faux airs de Wonder Woman et The Deep ressemble beaucoup à Aquaman), et une joyeuse critique de l’Amérique toute puissante, décomplexée et soumise au diktat des évangélistes médiatiques, de l’argent, des réseaux sociaux et de l’apparence. Les huit épisodes de la première saison disponibles sur la plateforme Amazon Prime se regardent d’une traite, avec jubilation quand les mythes se font dézinguer à la sulfateuse à balles explosives ou lorsque le « système » (judiciaire, politique, médiatique…) ou l’univers des comics sont les cibles des scénaristes de The Boys.

Parce que les héros dépravés, odieux, égocentriques ne sont pas seuls à être dans la ligne de mire de la série qui pastiche avec bonheur les codes du genre : à l’inverse des bagarres lisses contre des méchants intergalactiques où l’on meurt peu et sans effusion de sang, les combats des Boys contre les 7 sont certes moins homériques que le final de Endgame ou l’affrontement Batman vs Superman mais pas moins explosifs. Comme dans cette scène où Hughie disperse l’homme invisible façon puzzle à l’aide d’un suppositoire à la dynamite…
The Boys, la série où les méchants ne sont pas ceux que l’on croit. Et les gentils, des super-vilains en devenir.
The Boys, créé par Seth Rogen, Evan Goldberg et Eric Kripke.
D’après le comics de Garth Ennis et Darick Robertson.
Avec Karl Urban, Jack Quaid, Laz Alonso, Tomer Kapon, Antony Starr, Erin Moriarty, Jessie Usher, Elisabeth Shue, Simon Pegg, Chace Crawford. Produit par Cinémax. Développé et diffusé par Amazon Prime Vidéo.