Au bilan neuf

© Christine Marcandier

Cela fait longtemps que chaque année, je me livre au même rituel : un peu avant la fin de l’an en passe de s’achever, je commence une chronique que je finirai après les libations obligées. Puis, une fois Noël, le Nouvel An, la galette des rois digérés et avant que les fêtes chrétiennes et païennes ou mises à la mode par les professionnels du consumérisme ne déboulent au risque de m’inspirer un nouveau billet sur l’influence de la Pâque sur la politique agricole française, je clos l’exercice en assurant que je ne présenterai pas mes vœux, dans un accès de misanthropie qui doit moins à une posture de chroniqueur qu’au visionnage annuel du zapping de l’année de Canal+.

Cela va bientôt faire un an depuis… jusqu’à… ce jour de l’an dernier. C’était un mercredi, jour des enfants. Mercredi 7 janvier. Fameux jour – fameux n’étant pas l’adjectif le plus approprié d’ailleurs, funeste, sombre, imbécile, atroce, seraient plus adaptés – où deux affreux ont déclaré la guerre aux dessinateurs de presse avec des moyens qui en disent long sur leur courage. Des kalachnikovs contre des stylos, c’est vraiment super viril comme méthode ! C’est de la bravoure à faire pâlir de jalousie les multinationales qui éradiquaient les forêts au napalm sous couvert de lutter contre le paludisme, c’est du machisme de cave de HLM quand il s’agit de violer en réunion la môme du 8ème qui n’a rien demandé à personne tandis qu’une poignée d’abrutis se tripotent sur elle parce qu’ils pensent que les films X sur Internet sont la vraie vie.

Et puis il y a eu ce vendredi 13 novembre de merde. Jusqu’à ce jour sinistre, je n’étais pas trop superstitieux, je dirais même que je me foutais bien de passer sous les échelles, je dirais même… Je ne dirais rien de plus en fait, il n’y a rien à ajouter. C’est complètement stupide d’aller invoquer la fatalité et une croyance quelconque en l’inéluctabilité des choses parce qu’un chat noir traverse la rue, parce qu’on est treize à table ou parce qu’on s’est levé du pied gauche en marchant sur une pièce de Lego surnuméraire qui n’avait rien à faire là. De même qu’il est assez crétin d’oser suggérer que certains morts l’ont bien cherché. Il faut être complètement con ou s’appeler Zemmour, Onfray, Todd ou Morano pour oser la ramener avec une indigence de pensée et une indécence que l’on ne rencontre plus guère que chez les mollusques bivalves.

Et qu’on ne vienne pas me parler de la chance ou de la malchance. Je me souviens de ce naturiste d’un nouveau genre qui s’est fait encorner pile au moment où il tentait de faire un « nutfie », le cul à l’air dans un carré de trèfle irlandais, le smartphone entre les guiboles pour immortaliser ses testicules avec la lande sauvage de la verte Erin en champ-contrechamp. Même ce pauvre adepte du « nutscaping » et du souvenir inepte propre à faire le buzz sur des réseaux dits sociaux, ne peut pas s’en prendre qu’à lui-même. C’est de la guigne, du vrai pas de bol, de la scoumoune pur jus. On ne peut pas, on ne doit pas dire qu’il l’avait bien cherché en voulant immortaliser ses attributs génitaux sur Instagram ou pour en faire un fond d’écran rigolo.

Ces douze derniers mois, tout est allé très vite (comparé à janvier, le mois de février est passé comme une balle de kalachnikov) et j’ai compris beaucoup de choses au fur et à mesure que le temps passait et que rien ne changeait : lire, écrire, se cultiver, analyser, décortiquer, réfléchir, s’insurger, se révolter, se mettre en colère seul derrière son écran d’ordinateur ou devant une page blanche sont bénéfiques. Lecture, culture et écriture sont des soupapes. Et dans mon cas, commettre un énième billet d’humeur, un émonctoire (comme l’entrevue éponyme). Comme le dit si bien Jacques Brel, « il faut bien que le corps exulte ».

L’an dernier, soyons honnêtes, il y a quand même eu quelques (rares) bonnes nouvelles : les grands de ce monde se sont réunis à Paris pendant quelques jours le temps de faire grimper l’empreinte carbone de la capitale française à des niveaux rarement atteints dans le but de prendre l’engagement de limiter le réchauffement de la planète «bien au-dessous de 2°C» d’ici 2030. La Mongolie est devenue le 105ème pays à abolir la peine de mort, le prix du pétrole a baissé, un accord sur le nucléaire iranien a été trouvé, les femmes saoudiennes ont voté pour la première fois et Elisabeth II est devenue le monarque britannique qui a régné le plus longtemps… Tout n’a pas été si noir finalement.

S’il y a toujours des raisons de craindre l’avenir et même si plus que jamais je déteste les best of, les tops, les récapitulatifs, les synthèses statistiques et autres recensions de l’année qui s’est achevée, j’ai repris le clavier pour clore cette première chronique en 2016, maintenant que 2015 (comme Michel Delpech) n’est plus.

Tous les ans, presque au jour près, je réécris donc l’actualité et la même chose. A ce demander qui de moi ou de l’histoire se répète… Je viens de vérifier sur le calendrier : en 2016, il y aura bien un 7 janvier et un 13 novembre. Je préfèrerais quand même que l’histoire ne se répète pas.

© Christine Marcandier