« On ne t’a jamais dit que la littérature ne parle jamais de choses gentillettes, même quand ça se passe sur une île ? », écrivait Juli Zeh dans Décompression (2O13) qui se déroulait déjà sur l’île de Lanzarote ; phrase qui apparaît désormais comme le programme de son nouveau roman puisque, dans Nouvel an (2019), Henning passe lui aussi ses vacances de Noël en famille sur cette île des Canaries.
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On sait la romancière allemande Juli Zeh experte en thrillers psychologiques, tendus et denses. Décompression, qui vient de sortir en poche chez Babel, dès son titre qui renvoie d’abord à la plongée sous-marine au centre du récit, ne déroge pas à la règle.
Un vol d’étourneaux donne de la voix dans les arbres encore en feuilles de la Place de l’Estrapade. Un bruit de boules de loto moulinées dans leur tambour, ponctué de brefs coups de sifflet. Si on ferme les yeux et qu’on les écoute, il est évident qu’ils discutent.
David King est à la tête d’un empire : les camions bleus de son entreprise de déménagement vous font des queues de poisson sur les routes, vous ne pouvez pas rater ses pubs sur les chaînes câblées, à la radio ou en 4×3 sur les murs : King’s Moving, déménageurs depuis 1948 pour les 5 boroughs de New York et 3 États voisins, sans compter les six entrepôts de stockage télésurveillés, climatisés et accessibles 24/7. Cet empire, Joshua Cohen en fait le biais d’une saisie caustique de notre époque, dans un roman qualifié par le New Yorker de « Soprano à la juive ».
Après Brasier noir et L’arbre aux morts, Greg Iles clôt sa trilogie fleuve avec un livre à la (dé)mesure du projet – 848 pages pour ce dernier volet –, Le Sang du Mississippi, thriller aux faux airs de saga familiale dans la Black Belt américaine.
« Il y a qui on est. Là dans l’univers », écrivait Charly Delwart dans L’Homme de profil même de face (2010). Mais comment définir ce « qui on est », la somme de « il y a » qui constitue cet être au monde ? Peut-on se dire et dire l’univers, la place d’un « je » dans cet univers, depuis des données brutes et des statistiques ?
Les histoires racontées dans cet essai sont vraies, écrivait Valeria Luiselli dans Raconte-moi la fin (2018), Essai en quarante questions, recueil de paroles d’enfants ayant tenté de passer la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Archives des enfants perdus (2019) est en partie le pendant romanesque de cet essai, même si les genres littéraires ne sont pas aussi tranchés que les frontières géographiques et politiques.
Une station-service est un non-lieu, au sens que Marc Augé donne à ce terme, un espace propice à une anthropologie de la surmodernité. Devenue roman, ce non-lieu — puisque l’article singularise la station-service tout autant qu’il en fait la représentante de toutes les autres, le lieu de tout lieu — se mue en temps, en feuilleté de micro-récits, de Chroniques d’une station-service. Un drôle de livre, signé Alexandre Labruffe.
« Si, au-delà de ces vestiges, nous avions pu voir », écrivait Kevin Powers dans son recueil poétique Lettre écrite pendant une accalmie durant les combats. Un vers comme la clé d’un roman à venir, L’Écho du temps qui vient de recevoir le Grand Prix de littérature américaine 2019, comme la saisie dense et organique de l’essence même d’une œuvre toujours plus sidérante à mesure qu’elle s’édifie, entre poésie et prose. Kewin Powers était de passage à Paris, en octobre dernier, l’occasion d’un long entretien, sur son rapport au temps, aux lieux comme paysages mentaux, à la violence de l’Histoire et au roman pour les dire.
D’un côté, les traces peintes de ces mains millénaires, orientées selon un axe vertical, qui ornent la grotte de Gargas ; de l’autre, l’extension progressive d’un monde horizontal avec cette carte, Cosmographiae introductio, où est dessiné pour la première fois le continent américain, puis celle, rapprochée des toiles de Jackson Pollock, qui figure l’ensemble des trajets des bus Greyhound et où se résume la vocation de cette même Amérique à installer et imposer mieux que tout autre un mode de rapport géographique au monde.
Lucie Taïeb, génération 77, écrivaine, traductrice et enseignante-chercheuse, publie cette année un essai (Freshkills, recycler la terre, éd. Varia), un recueil de poèmes (Peuplié, Lanskine) et un roman (Les échappées, L’ogre). Le prix Wepler 2019 qu’elle vient de recevoir pour son roman est l’occasion rêvée pour explorer son univers d’écriture.
J’ai oublié. Quel titre parfait pour un livre de souvenirs ! Jean-Pierre Dionnet qui vient, de son côté, d’en publier un, l’a intitulé Mes Moires, ce qui est plutôt bien trouvé, mais J’ai oublié est plus fort et vient d’être couronné par le prix Médicis Essais 2019.
Au fil de ses romans, dont le premier paraît chez P.O.L en 2001, Christine Montalbetti nous a habitué.es à nous glisser dans des traditions fictionnelles codifiés. Le dernier roman de l’écrivaine, Mon ancêtre Poisson, ne fait pas exception, et la curiosité romanesque de celle-ci s’aventure cette fois dans le genre, chéri du contemporain. du récit de filiation. Après sa critique du roman, Morgane Kieffer revient sur Mon ancêtre Poisson, cette fois à travers un grand entretien avec son auteure, Christine Montalbetti.
Le Prix Femina Essais a été attribué à Emmanuelle Lambert pour son Giono, Furioso. L’article que Jacques Dubois a consacré au livre le 23 septembre dernier.
« Vis, me disait toujours l’autostoppeur. Vis et après tu écriras. Ne laisse pas passer cette belle journée de soleil, chaque fois qu’il me voyait devant mon ordinateur. Ou si par gentillesse il ne le disait pas je comprenais qu’il le pensait. Et ses actes aussi me le disaient. La baignade qu’il allait faire et pas moi. La promenade dont il revenait et pas moi. Les inconnus qu’il rencontrait au bar et pas moi. »