Sous contrôle (Arte) : au service de la farce

Selon la formule de Clémenceau, on savait déjà la guerre être une chose trop grave pour être confiée à des militaires. Quid de la politique, des décisions ministérielles ou présidentielles ? Confiée à un scénariste de la trempe de Charly Delwart, la politique devient, dans Sous contrôle (sur Arte le jeudi 5 octobre à 20h55), un spectacle absurde, au long de six épisodes sur lesquels souffle un vent d’irrévérence, d’ironie bienvenue et de second degré permanent.

Toujours entre deux avions, entre deux actions humanitaires, entre sa vie personnelle compliquée et ses fonctions de directrice d’ONG, l’idéaliste Marie Tessier (Léa Drucker) se voit nommée au Quai d’Orsay pour remplacer au pied levé le ministre en poste qui vient de faire un burn-out. Propulsée sur le devant de la scène politique en moins de temps qu’il n’en faut pour remanier un gouvernement, la nouvelle ministre va être confrontée d’emblée à une crise majeure : une prise d’otages menée par une organisation terroriste au Sahel.

Inexpérimentée, dépourvue des codes et subissant la morgue et le fatalisme des fonctionnaires en place, la nouvelle cheffe de la diplomatie française va rapidement comprendre la difficulté d’être soi dans un monde où chaque mot, chaque phrase, chaque posture sont scrutés et analysés. Sur le ton de la farce (tout en évitant l’écueil du pastiche grossier), grâce à des dialogues savoureux qui enchaînent les punchlines, avec une réalisation qui alterne comique de situation et critique à peine voilée de la professionnalisation de la politique, Sous contrôle se donne comme une satire à la fois subtile et déjantée qui ne retient pas ses coups de griffes.

Traversée de bout en bout par une simple question – mais que diable allait-elle faire dans cette galère ? – Sous contrôle est une de ces séries qui empruntent à leur genre (l’exercice du pouvoir, les arcanes de la politique) pour mieux les moquer et faire rire (parfois jaune) jusqu’à l’absurde. A l’instar de Veep ou Spin City (pour la filiation satirique), de The New Statesman (pour le nonsense so british) ou plus récemment de Parlement (pour le côté près de chez nous), Sous contrôle captive par sa virtuosité et sa galerie de personnages bien croqués (le PDF en tête, Laurent Stocker hilarant en remix d’Emmanuel Macron et Jack Lang), avec des situations plus déso(pi)lantes les unes que les autres auxquelles les créateurs de la série ont insufflé un esprit frondeur qu’on n’avait plus vu depuis la disparition des Guignols de Canal Plus.

Mais au-delà de la question de savoir si une personne issue de la société civile peut bien faire son travail malgré son inexpérience – ce qui serait un procès en incompétence à la fois légitime et facile –, Sous contrôle explore aussi les questions de l’engagement, des idéaux, des ambitions personnelles dans un monde complexe, brutal et souvent misogyne. Car Marie Tessier est aussi le symbole et le symptôme d’un état de fait ; comment mener de front sa vie de femme, de mère, sa carrière professionnelle quand tout vous renvoie la même réponse : laissez faire ceux qui savent (traduisez, les hommes) ?

© Arte

Au-delà de ses questions – importantes, même dans une série comique –, on se marre franchement du jeu de miroir opposant l’incompétence des dirigeants européens et de leurs des services secrets aux nouvelles techniques de management des terroristes. Entre amateurisme façon Whe are four lions et optimisation des processus (avec services généraux et veille concurrentielle), les preneurs d’otages tirent sans peine leur épingle du jeu devant l'(in)action des politiques occidentaux et les maladresses à répétition de la « ministre des affaires étrangères de la France. « Devenue étrangère aux affaires de la France ». Et une punchline de plus.

Truffée de pépites scénaristiques (le running gag de l’application pour smartphone pour réduire le stress), émaillée de bons mots et de sentences rigolardes à double sens (« Kouchner n’aurait jamais fait ça »), Sous contrôle dresse un portrait décapant de la classe politique et s’amuse (et nous avec) des travers des uns et des autres supposés être en responsabilité. L’abattage de Léa Drucker, l’écriture rigoureuse digne de sitcoms américaines ou anglaises, l’humanité des personnages et la férocité des situations sont les atouts majeurs de la mini-série d’Arte à voir toutes affaires (étrangères) cessantes.

Sous Contrôle, créé par Charly Delwart, réalisé par Erwan Le Duc, scénario Charly Delwart et Benjamin Charbit. Avec dans les rôles principaux Léa Drucker, Samir Guesmi, Laurent Stocker, Samuel Churin, Machita Daly, Youssef Sahraoui, Bass Dhem, Lya Oussadit-Lessert. Production Ex Nihilo, Arte France, Karoninka. Six épisodes diffusés sur Arte à partir du 5 octobre 2023. En streaming sur Arte.tv.