En ces temps de réécriture(s) permanente(s) de l’histoire, à l’ère des fake-news, de la post-vérité et des exubérances érigées en nouvelle doxa bolloréenne, il convient de remettre sinon l’église 2.0 au milieu du village numérique du moins un peu de fantaisie dans le morose. Fort de son savoir d’autodidacte diplômé, Boris-Hubert Loyer vous propose un petit précis d’histoire-géo pour les pas trop nuls qui sauront séparer le vrai grain du faux livresque. Deuxième volet : le Lourdistan.
A l’instar du Groland et de la longue lignée des pays imaginaires des livres, films et séries toutes époques confondues, la fascination pour les lieux dys– ou utopiques n’est pas prête de s’éteindre tel un smartphone ancienne génération aux abords de la date de sortie d’un nouveau modèle. On pourrait citer à la manière d’une liste à la Dantzig (l’écrivain des couloirs jamais avare d’égoïsme encyclopédique) et de manière tout sauf exhaustive (parce qu’on n’a pas la nuit non plus) : la Bordurie et la Syldavie d’Hergé ; La Palombie de Franquin ; le Coronador de Tillieux ; Gilead de Margaret Atwood ; le Kundu dans The West Wing ; Xanadu de Samuel Taylor Coleridge… ma préférence allant vers des pays fictifs dont le nom se finissent par –stan propices à nombre d’inventions plus ou moins de bon aloi comme le Kafiristan de Rudyard Kipling, le Tcherkistan de Dany Boon ou l’Absurdistan de Gary Shteyngart, qui font tout de même pâle figure à côté du légendaire Filékistan de Pierre Dac et Francis Blanche.
Le récent engouement de la planète Twitter pour le Listenbourg illustre de belle manière ce phénomène créatif qui a vu l’émergence ex nihilo d’un nouveau pays sur le continent européen dans le but avoué de se gausser des connaissances géographiques des Américains. Ces derniers n’ont pourtant pas besoin qu’on leur rappelle qu’ils sont de piètres cartographes, n’hésitant pas à répertorier des No-Go zones un peu partout sur la planète (de préférence à Paris ou Marseille) à des kilomètres d’une quelconque réalité journalistique ou historique. Heureuse et potache, la péripétie virale du Listembourg (les deux orthographes sont désormais admises) a apporté un peu de fraîcheur dans le monde terne et anxiogène des twittos souvent plus prompts à harceler leurs semblables et à relayer les réparties simplistes et stupides des éditorialistes à lunettes Bolloré colorées face à un invité discourant du dérèglement climatique, d’amour de son prochain ou de réfugiés mourant en mer.

Se déployant sur la toile tel un virus aéroporté dans les travées d’un long courrier en provenance de Wuhan, la blague du Listenbourg a grossi à vue de tweets, alimentée par des internautes en pleine forme et en rupture de désencyclopédie. Après sa position géographique, que l’on peut situer précisément à l’ouest du Portugal même si on a fait Allemand LV2, le Listenbourg s’est vite vu doter d’une constitution, d’une langue (plusieurs en fait), d’une capitale, d’un hymne, d’un drapeau… grâce aux contributions multiples et farfelues de potentiels citoyens du cru, augmentée des nombreuses récupérations mercantiles des marques et de certains médias complices alors qu’on n’est même pas le 1er avril, l’odyssée du Listenbourg a grossi et fait florès jusque dans les JT internationaux. Y compris aux États-Unis qui ont rapidement lâché l’affaire quand ils ont compris que le port d’armes étant prohibé au Listenbourg, la probabilité de couvrir une tuerie de masse dans une école maternelle avec des images et des témoignages insoutenables était proche du degré d’empathie de l’ex-Président Trump visitant les sinistrés de l’Ouragan Maria à Porto Rico.
Mais ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que non loin du Listenbourg co-existe un pays injustement méconnu (et pour cause) alors qu’il mériterait tout autant les honneurs de la presse et l’intérêt du grand public. Cet espace historico-géographique confidentiel n’est autre que le Lourdistan.
Entité qui se définit elle-même comme une « nation » au sens de « groupe dont les membres sont unis par une origine réelle ou supposée commune et organisés primitivement sur un territoire », le Lourdistan possède nombre d’attributs qui ferait de lui un vrai pays à défaut de n’exister que dans la tête de ses zélateurs les plus acharnés. Puisant son histoire dans des sources souvent apocryphes et revisitant à l’occasion un roman national fait de batailles menées contre un ennemi qui n’a de cesse de vouloir remplacer ses citoyens de souche, le Lourdistan est le pays de ceux qui scandent « On est chez nous ! » à longueur de meetings où s’agglutinent les Lourdauds (désignation familière de Lourdistanais) venus supporter leur candidat ex-polémiste et gourou auto-consacré sauveur de la francité alors qu’il n’a même pas son Bach. Au Lourdistan, on pense qu’on peut dire tout et n’importe quoi parce qu’on écrit sous pseudo et sur Internet avec le courage vengeur et épistolaire du plumitif anonyme dénonçant le train de vie de son voisin au fisc. Au Lourdistan, on est convaincu que la liberté d’expression est sacrée et que ce n’est pas à la justice de décider si ce qu’on dit est licite ou non (sic). Au Lourdistan, on est persuadé que faire 2,7% de part d’audience (soit un peu moins qu’une émission de télé-achat) permet de se poser en faiseur d’opinion notamment en ayant recours à des chroniqueurs d’importation. Au Lourdistan, on est certain que dire « ferme ta gueule ! » à un député de la République est juste naturel et aussi anodin que piéger des hommes via une annonce sur un site de rencontre en les outant en direct à la télévision à leur insu. Au Lourdistan, enfin, on est sûr de son bon droit parce qu’on fait gagner de l’argent à un employeur déjà milliardaire en insultant ses invités et l’intelligence des téléspectateurs.
À bien y réfléchir, cette contrée pesante n’est peut-être pas si imaginaire que ça et malheureusement beaucoup moins fantaisiste que le Listenbourg et son potentiel comique… Et de se dire que le seul point commun entre l’humanisme de Kipling et le populisme médiatique, c’est indubitablement « L’homme qui voulut être Roi ».