Le Bureau des Légendes, saison 3 : enfer et contre tous

Mathieu Kassovitz

Le Bureau des Légendes revient pour une troisième saison et mérite plus que jamais son surnom d’Homeland à la française, même si les premiers épisodes diffusés ce lundi 22 mai sur Canal Plus tendraient à montrer qu’il s’agirait plutôt d’un « outland » puisque l’action se situe majoritairement hors de l’hexagone comme celle son aînée à l’aube de la saison 4.
Alors que l’on avait quitté Malotru-Kassovitz aux mains de Daesh à la fin de la deuxième saison, le pitch de la troisième qui s’ouvre ce soir serait donc simplissime : il faut sauver le soldat Malotru. Mais dans le monde duplice des barbouzes, rien n’est moins sûr.

Bruxelles, Paris, Vienne, Istanbul, Beyadi en Syrie, la géographie du terrorisme est planétaire et ses acteurs réels ou fictionnels éparpillés façon puzzle géopolitique. Tandis que Malotru (Mathieu Kassovitz, visage christique) se débat dans sa captivité et entre les planches d’une caisse exiguë, les fonctionnaires de la DGSE s’activent en coulisses pour libérer l’agent double prisonnier des djihadistes de Daesh. Et l’on peut désormais cesser de poser la question de savoir si la France est capable de produire des séries télé sans en révérer les Américains, parangons (auto ?)proclamés du genre.

(Moule à Gaufres s’adressant à la CIA)
Nous comptons faire comme vous faites d’habitude, nous agissons d’abord. Nous réfléchissons ensuite.

Toujours nimbée d’un humour à froid, la série se paie le luxe de bons mots dispensés par un Henri Duflot (Jean-Pierre Darroussin) aux sommets du pince-sans-rire et de la cravate de mauvais goût et d’allusions cryptées à l’actualité. La série « show-runnée » par Eric Rochant possède nombre d’atouts dont celui, sûrement le plus remarquable, de continuer à provoquer l’addiction après deux saisons qui lui ont permis de trouver avec brio sinon son (faux) rythme de croisière, du moins de conserver sa cohérence dans la construction extrêmement séquencée, pour mieux se rassembler à chaque fin d’épisode, un peu à la manière de The Killing (version américaine) si l’on devait à toute fin chercher une ressemblance outre-Atlantique.

Capture d’écran My Canal

Cette saison, la série alterne habilement les scènes d’extérieur et les huis-clos, les moments d’action et les séquences durant lesquelles les analystes investiguent décortiquent le moindre détail au gré des découvertes les plus insignifiantes. Là, c’est un plan du réseau ferré français trouvé dans un ex-quartier général djihadiste en Syrie. Ici, c’est une procédure vérifiée et revérifiée encore visant à effacer toutes traces de l’extraction d’un agent à l’insu de services de renseignements ennemis (voire amis). Ici encore, c’est la préparation d’une mission sur le terrain répétée comme le filage d’une pièce de théâtre dans des locaux sécurisés à l’extrême où le silence est d’or et la parole est d’agents.

Capture d’écran My Canal

Le Bureau des Légendes, du moins au début de cette troisième époque, joue plus que jamais sur la frontière mouvante entre la fiction et la factualité, à l’ère des vérités alternatives et des milliers de questions que l’on peut se poser sur l’intégrisme politique et religieux dont les exactions se manifestent malheureusement jusque sur nos plus belles avenues ou dans l’obscurité des salles de concert. La série de Canal Plus use d’une distance dans le traitement qui est en harmonie avec le credo de cette armée de l’ombre dont Eric Rochant nous raconte le quotidien forcément sous-médiatisé. Mais entre délires de scénaristes prêts à sacrifier la crédibilité sur l’autel de l’audience et ultra-réalisme glaçant, Eric Rochant et ses auteurs ont choisi. A tel point que l’on se pose sans cesse la question de savoir si c’est l’actualité qui rejoint le fictif télévisuel incarné à l’écran par les résidents de ce Bureau ou bien l’inverse.

La captivité de Malotru, les séances de torture, l’enfermement, les vidéos de propagande à l’adresse du monde occidental, le fanatisme religieux des têtes pensantes comme des simples exécutants, le rôle des Peshmergas, les combattants kurdes, les enjeux politiques locaux et internationaux, sont des enjeux forts pour une série qui embrasse le monde et interroge le spectateur dans son rapport à l’image et à la vérité. Chaque scène est pesée, chaque mot, chaque dialogue, chaque plan sont d’une formidable acuité dans la restitution d’un inconnu, d’un imaginaire, voire d’un fantasme pour certains.

Capture d’écran My Canal

Et quand la « légende » se fait réécriture du réel, c’est parfois aussi par le biais d’infimes détails aux accents littéraires, tel cet Institut Boulgakov, nid d’espions russes sismologues, clin d’œil à Mikhaïl Boulgakov, auteur du Maître et Marguerite, dont l’œuvre mêlait fantastique et réel, jusqu’à confondre l’extra-ordinaire et le vrai, les époques et les lieux.

Là où la série gagne des galons supplémentaires — alors que les saisons 1 et 2 étaient déjà très fortes —, c’est en s’attachant plus que jamais à ses personnages et à leur psychologie malmenée par les événements et leur environnement. La duplicité, l’ambiguïté, le refus du manichéisme sont toujours autant de lignes de crêtes pour une série qui mêle habilement action pure et économie de mots. Pour achever de s’en convaincre, les longs passages silencieux et la profusion de plans serrés sur les regards et les objets tandis que les acteurs de ces jeux secrets tentent d’évoluer et de survivre, parfois au cœur d’un maelström qui les emporte loin d’eux-mêmes. Au-delà de leur légende.

Le Bureau des Légendes, saison 3, épisodes 1 & 2 le 22 mai 2017 à 20 h 50 sur Canal+.

De Éric Rochant avec dans les rôles principaux : Mathieu Kassovitz (Guillaume Debailly – Paul Lefebvre), Jean-Pierre Darroussin (Henri Duflot), Zineb Triki (Nadia El Mansour), Sara Giraudeau (Marina Loiseau), Florence LoiretCaille (Marie-Jeanne), Jonathan Zaccaï (Raymond Sisteron).

Écrite par : Éric Rochant, Camille De Castelnau, Raphaël Chevènement, Cécile Ducrocq, Hippolyte Girardot, Antonin Martin Hilbert
Réalisée par : Éric Rochant, Samuel Collardey, Élie Wajeman, Laïla Marrakchi, Hélier Cisterne, Antoine Chevrollier
Production : TOP – The Oligarchs Productions, Federation Entertainment (FEDENT) Producteurs : Alex Berger, Eric Rochant – Crédits images : Canal Plus

Saisons 1 & 2 disponibles en intégralité sur Canal + à la demande.