Le Bureau des Légendes, saison 2 ou l’art du climax déceptif

A mi-saison, que dire du Bureau des légendes, saison 2, la série dirigée par Eric Rochant dont le personnage principal est incarné par Mathieu Kassovitz ? Parce qu’elle est disponible en intégralité sur Canal Plus à la demande, le comité de visionnage de Diacritik s’est livré à une séance de binge watching. Pour ne rien « divulgâcher », critique sous le sceau du secret.

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Mathieu Kassovitz – © Canal +

La première saison du Bureau des légendes s’étant achevée sur un cliffhanger palpitant jusqu’à l’invraisemblance, on pouvait parier sur un redémarrage périlleux. Sans spoiler à rebours, il faut quand même admettre que le final qui voyait Mathieu Kassovitz amoureux jusqu’à la trahison devenir un agent double au profit de la CIA, aidé en cela par la psychologue incarnée par Léa Drucker, elle-même plutôt américanophile pour des raisons encore inconnues, avait de quoi laisser dubitatif. Pourtant la perspective de dérouler l’histoire d’une taupe dans la piscine n’a pas rebuté les scénaristes à l’orée de la nouvelle saison, c’est même le centre de son récit.

Le Bureau des Légendes
Léa Drucker © Canal +

La saison 2 place l’action sur les terrains du djihadisme, de Daesh, de la radicalisation, de la sécurité intérieure assurée par des barbouzes en costume Burton ou en tailleur H&M et de la psychologie torturée, voire paranoïaques des «Malotru, Moule à gaufres, Phénomène» et autres «Cyclone» — noms de codes des agents de cette DGSE télévisée et assurément bédéphile.

Si la force de la série imaginée par le réalisateur des Patriotes réside indéniablement dans la qualité de son scénario et la construction soignée des personnages, elle doit également beaucoup à l’esthétique froide de sa mise en scène. Sans aller jusqu’à dire que Le Bureau des Légendes joue l’économie de moyens, quoi de moins spectaculaire que des intérieurs jour dans des bureaux anonymes, une cantine d’entreprise ou des parkings en sous-sol ? Le Bureau des Légendes joue du spectaculaire de l’ordinaire, d’un suspens construit sur la révélation du dessous des cartes. D’ailleurs les nombreuses scènes d’extérieur dans des pays du Moyen-Orient renforcent la dimension immersive de la série — avec Sara Giraudeau en clandestine chargée d’infiltrer le milieu du nucléaire iranien ou Jonathan Zaccaï passé de veilleur à agent de terrain…

Le Bureau des Légendes
Sarah Giraudeau © Canal +

Paris, Téhéran, Damas, Istanbul, la zone frontalière avec la Syrie : Le Bureau des Légendes passe du huis clos aux grands espaces, comme les deux faces d’une même réalité. Le spectateur est pris par une intrigue double : géopolitique et humaine. Là où les séries anglo-saxonnes (Spooks, Quantico…) ou israéliennes (Hatufim ou False Flag) parient sur un rythme (trop) soutenu ou la profusion d’effets spéciaux, Le Bureau des légendes se révèle être un absolu anti-Homeland en ce qu’il mise sur la lenteur et la complexité de la personnalité des protagonistes (remarquablement interprétés). Pour appréhender l’inspiration derrière l’écriture des shows runners de la série, il faudrait donc plutôt chercher du côté de John Le Carré — pour l’intrigue fouillée, documentée et la traîtrise élevée au rang d’art majeur — ou de Ken Follett — pour les effets visuels et les typologies de personnages facilement identifiables.

En apparence, avec un découpage extrêmement moderne et un schéma narratif maîtrisé, le credo de la série ne répond qu’à un seul objectif (par définition celui de toute série ou tout roman d’espionnage) : tenir le spectateur ou le lecteur en haleine. Le récit est ailleurs, comme le suspens et la véritable tension dramatique : les effets de climax au milieu ou à la fin de chaque épisode (comme en toute fin de saison) sont en partie déceptifs et c’est là leur force. S’ils comblent ce besoin de prendre une bonne dose d’adrénaline au moment le moins opportun (i.e. vers 2 heures du matin à la fin du 9ème épisode – sur 10 – de la saison), ils ne sont qu’une résolution partielle du suspens et ouvrent à une attente toujours plus grande.

Le centre du récit ne cesse de se déplacer, toujours en équilibre fragile entre pouvoirs et dangers de la fiction, raison d’État et intérêts personnels, vérité et mensonge, trahison et fidélité, et c’est paradoxalement au cœur de la duplicité la plus grande que l’on trouve (peut-être) une forme de sincérité. Chacun des protagonistes du Bureau interprète sa « légende », joue un (ou plusieurs) rôle(s), au point de se perdre parfois et de rendre toute histoire d’amour impossible. Dans cette saison, Malotru écrit sur un cahier Moleskine — « en peau de taupe », comme le souligne ironiquement Duflot qui le lui a offert… — ce qui pourrait passer pour une confession à sa fille et qui n’est peut-être qu’une nouvelle construction.

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Jonathan Zaccaï © Canal +

Il faut enfin souligner combien dans cette saison du Bureau, la réalité a rejoint la fiction, près de six mois après les attentats du 13 novembre et plus d’un an après l’attaque meurtrière de la rédaction de Charlie Hebdo. Alors que les attentats ont eu lieu pendant le tournage des épisodes, la série évite tout patriotisme surfait et s’attache à décrire le quotidien presque ordinaire des fonctionnaires du ministère de la défense, leur travail de l’ombre et les moyens mis en œuvre pour démanteler une filière djihadiste. Le Bureau des Légendes se veut même critique et cynique quand il s’agit de constater l’impuissance gouvernementale face aux exactions des terroristes (de Daesh ou d’Al Qaïda). La peur, la menace ne sont dites que par le prisme de la psyché des personnages et du spectateur face à l’horreur de la torture, de la décapitation d’innocents et non dans les discours va-t’en-guerre, simplistes ou manichéens. Le Bureau des Légendes soigne ainsi le fond et exploite (sans excès) la triste réalité de ces derniers mois.

Le Bureau des Légendes, sur Canal+, épisodes 5 & 6 le 23 mai 2016. 

De Éric Rochant avec Mathieu Kassovitz (Guillaume Debailly), Jean-Pierre Darroussin (Henri Duflot), Léa Drucker (le docteur Balmes), Sara Giraudeau (Marina Loiseau), Florence Loiret Caille (Marie-Jeanne).
Scénario : Éric Rochant, Camille de Castelnau, Raphaël Chevènement, Cécile Ducrocq, Hippolyte Girardot, Antonin Martin Hilbert.
Réalisation : Éric Rochant, Samuel Coll Ardey, Élie Wajeman, Laïla Marrakchi, Hélier Cisterne, Antoine Chevrollier.

Jusqu’au 6 juin 2016. Saison complète disponible sur Canal + à la demande et en DVD en juin 2016.