Renaud Monfourny (Sui Generis) : la scène culturelle par l’intime

Morrissey et Robert Wyatt © Renaud Monfourny MEP

Renaud Monfourny expose à la Maison Européenne de la photographie et l’on retrouve 131 de ses portraits dans Sui Generis, livre publié chez Inculte/Dernière marge. Entrée dans un univers immédiatement identifiable, ou la scène culturelle par l’intime.

Tous les lecteurs des Inrockuptibles alors mensuel sont familiers de l’univers de Renaud Monfourny, co-fondateur du magazine : il y photographia les plus grands artistes, musique, littérature, peinture, art contemporain, cinéma et contribua à l’identité visuelle du magazine. Et depuis 2009 il tient un photo-blog sur le site des Inrocks, y publiant régulièrement portraits et rencontres, plus de 1500 photos à ce jour.

L’exposition à la MEP, sur deux salles, offre un aperçu de son travail, cadres dorés sur murs taupe, formats variés invitant le regard du spectateur à changer d’optique et d’axe face à chaque image, à aller au plus près des artistes représentés, de Patti Smith à Iggy pop, en passant par David Bowie, Leonard Cohen ou Nico. Il n’y a aucune volonté d’ordonner l’exposition, ni chronologiquement ni selon les domaines artistiques. Le spectateur change d’univers de portrait en portrait, seul demeure, comme fil conducteur, un œil, l’univers du photographe, sa manière singulière de saisir des moments particuliers, comme hors cadre. Chaque fois, quelque chose se dit de l’artiste photographié, dans un geste, un regard, ou le lieu choisi.

Nirvana © Renaud Monfourny MEP
Nirvana © Renaud Monfourny / Photo expo MEP © Christine Marcandier

Dans le livre Sui Generis, sublime et incontournable, les portraits se succèdent, certains accompagnés d’un court texte narrant les circonstances de la prise de vue : les demi-sourires et moues de Nick Cave en 1988 ou de Patrice Chéreau en 2003 trahissent une fragilité, Renaud Monfourny va bien au-delà de l’image publique. Ainsi pour Bjork en 1993, encore libre de tout maquillage et coiffure de mode, espiègle devant une 403 dans ne rue parisienne. Les regards disent les êtres, les yeux de Clint Eastwood qui transpercent le spectateur, fixes et droits ; ceux, immenses, de Paul Auster ; l’air enfantin, boudeur et provoquant de Quentin Tarantino, les yeux plissés et insondables de David Lynch, l’air encore poupin et craintif de Bret Easton Ellis en 1992.

Bjork © Renaud Monfourny
Bjork © Renaud Monfourny

Certaines mises en scènes ou en abyme sont spontanées, Maurice Pialat jouant avec un mini appareil photo face à son fils, d’autres plus étudiées comme Helmut Newton posant en peignoir griffé, chaussettes blanches et baskets dans la suite de son palace parisien (Alice Springs demeurant, elle, invisible). Quant à Michel Houellebecq et son sac Monoprix, comment savoir ?

Maurice Pialat © Renaud Monfourny
Maurice Pialat © Renaud Monfourny

Certains portraits sont hors monde, silhouette ou visage en noir et blanc sur fond vierge ou opaque, mais le plus souvent le décor dit beaucoup de l’artiste en portrait, qu’il s’agisse de l’atelier de Pierre Soulages ou de celui de Jean Rustin entouré de ses tableaux, de la maison du Gers de Maurice Pialat, de l’appartement rue Saint-Benoît de Marguerite Duras, assise devant un mur de photographies, fière de ses jambes, « beaucoup de jeunes femmes me les envieraient ».

James Ellroy apparaît derrière une grille, les Dum Dum Girls devant des affiches d’Elvis et Warhol, Patrick Modiano au jardin du Luxembourg. Sean Lennon et Jacques Tardi sont l’un comme l’autre saisi au Père Lachaise, le dessinateur narrant au photographe l’histoire de quelques hommes remarquables enterrés dans le cimetière mythique, anecdotes rapportées dans le livre.

Jacques Tardi © Renaud Monfourny
Jacques Tardi © Renaud Monfourny

De Pialat, Soulages, Leonard Cohen ou d’autres, les textes soulignent l’humilité ou la gentillesse, une forme d’abandon, « instant gracieux » ; une admiration se dit aussi, face à « l’immense Marguerite Duras », au « mythe » Paul Bowles, à l’« intensité incroyable » des rencontres avec Patti Smith.

Et c’est ce que Claude Simon, posant chez lui place Monge, en 1992, perçoit chez Renaud Monfourny, la vérité de ses photographies liée à son rapport au modèle :
« Lorsqu’il a vu que je travaillais avec mon Mamiya C330, un appareil 6×6 dans lequel on vise par-dessus, donc tête penchée, il m’a dit : « ah, vous, c’est différent, vous êtes dans une position de respect pour faire les photos ». Sur le coup, absorbé, je n’y ai pas prêté attention, mais cette phrase a dû se graver dans ma mémoire et est apparue plus tard comme une assertion philosophique totalement raccord avec mon approche du portrait ».

Raymond Depardon © Renaud Monfourny
Raymond Depardon © Renaud Monfourny

Renaud Monfourny, Sui Generis, 131 portraits, éd. Inculte/Dernière marge, 30 €

Exposition à la MEP, jusqu’au 27 mars 2016, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, Du mercredi au dimanche, de 11h à 19h45
Plein tarif : 8 € ; tarif réduit : 4,5 €

Il est également possible de visiter l’exposition via un catalogue virtuel et interactif (5 €) qui donne accès aux photos de la MEP agrémentées de bonus, commentaires et anecdotes.

Le site de Renaud Monfourny

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