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Commençons cette fois par un film. Juste sous vos yeux, 26e long métrage du prolifique Hong Sangsoo, sort en salles ce 21 septembre. Je ne l’ai vu à ce jour qu’une seule fois – ce qui est insuffisant à mon sens pour en parler avec précision –, mais il me suffit de clore les paupières, de me concentrer quelques secondes, de m’abandonner à une brève rêverie, pour que, non seulement des images, mais aussi des sons, reviennent, avec une clarté étonnante. Ainsi, de jour en jour, se renforce le sentiment d’avoir été en présence d’un objet cinématographique d’une grâce – d’un mélange de légèreté et de gravité – peu commune.

Depuis le volume collectif codirigé avec Julien Piat La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon (Fayard, 2009), les travaux de Gilles Philippe, professeur de linguistique à l’université de Lausanne, ont profondément renouvelé l’étude du style et donné à la stylistique, discipline jugée vieillotte et devenue mineure dans les programmes littéraires, la place qu’elle mérite.

Ce dont rêve la littérature française, ce n’est pas d’une île, mais d’un château ou d’un jardin, toutes époques et versions confondues — de l’éden de Jean-Jacques à la résidence secondaire de nos contemporains : la jonction des deux se trouve peut-être dans le pré de Candide. Et l’écrivain français, quand il voyage, ce n’est pas dans l’espace, mais dans le temps qu’il le fait : Rome, Athènes, Jérusalem. Citadin traversé par l’imaginaire des îles, Luc Dellisse est donc moins écrivain français qu’écrivain tout court.

Qu’est-ce qu’un poète qui écrit des romans ? Que fait-il quand il s’appelle Rossano Rosi et qu’il est l’auteur, déjà, de trois recueils et de six romans – lus, primés, appréciés, mais de trop peu de lecteurs encore ? Comment s’y prend-il pour s’inscrire dans une tradition, celle de Raymond Queneau, très clairement, aussi bien pour le versant poétique que pour le champ romanesque? Quelle est sa stratégie pour ne pas se laisser engloutir par l’amour de ses modèles, par la tentation de la surenchère, par le découragement lié à un excès d’admiration ?

Cinéma à l’université pourrait se définir comme la troisième étape d’un mouvement plus vaste qui touche à l’un des piliers de l’enseignement du cinéma, à savoir le cloisonnement presque absolu de la théorie et de la pratique, du savoir et du savoir-faire, de la pensée purement intellectuelle et de la pensée « avec les mains » (pour citer le livre éponyme de Denis de Rougemont, lui-même cité dans Godard dans Histoire(s) du cinéma).

Lorsque la poésie et les photos se mettent à discuter entre elles, même très poliment, quel rôle le spectateur/lecteur joue-t-il ? De quelle manière est-il impliqué ? Selon quelles modalités ? Quel sens doit-il privilégier ? Ne doit-il pas paradoxalement essayer d’avoir les yeux à l’écoute, et ainsi être capable d’être rivé à l’échange qui se tisse de la poésie à la photo ? C’est ce que réclame La Lecture de Jan Baetens, accompagnée des photographies de Milan Chlumsky. 

Le projet de Cases départ est original mais limpide. En 72 séquences – chacune d’elles, un poème indépendant –, Luc Dellisse retrouve, à force de concentration et d’imagination mélangées, quelque chose de ce qui lui reste de l’année 1967, la première où il avait l’impression d’être vraiment en vie (rappelons pour la petite histoire que l’auteur est né en 1953 ; son enfance a donc été longue et heureuse – mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ces pages et les lecteurs des premiers romans de Luc Dellisse savent de quoi il retourne réellement).

Benoît Peeters (écrivain, directeur des Impressions Nouvelles) et Laurent Demoulin (auteur du tout récent Robinson chez Gallimard) se sont livrés à un brillant et plaisant exercice : un grand entretien à deux, autour des éditions de Minuit et de Jérôme Lindon, que Diacritik, via Jacques Dubois, a le bonheur de publier, en deux parties.