Dès le début du livre, les repères sont brouillés : « il est quinze heures du matin ». Quelle est cette heure qui n’existe pas ? Quelle est cette voix qui la dit ? Qu’il soit quinze heures du matin signale un désordre de la pensée mais aussi du monde : s’il est quinze heures du matin, c’est qu’un désordre du monde a lieu, que son ordre habituel s’est écroulé. Ce désordre, ce monde écroulé, ont pour nom : Alep. L’écriture de cette voix est celle qui écrit depuis ce désordre.

Il s’agit de mouvements : crever, percer, déplacer, déplacements. Les mouvements sont subis ou agis, collectifs ou singuliers – le singulier et le collectif, ici, ne se distinguant pas vraiment. Il s’agit d’action et de passion, d’affects et de politique, et de soi comme des autres. Il s’agit d’un mouvement général : effacer les frontières, les percer, les déplacer, les déborder.

Elle a une façon d’écrire, Claude Favre, une façon bien à elle et rien qu’à elle, Claude Favre, sa façon de nous envoyer des phrases comme des lassos qui nous amènent vers elle, tout contre sa bouche, pour nous faire entendre le monde comme elle l’entend elle, c’est-à-dire absurde, c’est-à-dire violent, c’est-à-dire désopilant, et désespérant ; nous faire entendre les bruits insupportables dans sa tête trouée par le marteau-piqueur d’une langue usuelle qui réinterprète le monde et le rend incompréhensible.