Comme l’an passé et l’année d’avant, le cru 2021 du Vu de l’année de Patrick Menais diffusé le 2 janvier à 22h40 sur France 5 a malheureusement un goût de déjà-vu.
Si les événements, les faits et les personnalités qui ont fait l’actualité en 2021 – les Jeux Olympiques, la crise climatique, l’assaut du Capitole, la libération de la parole, l’aventure spatiale de Thomas Pesquet… – semblent nouveaux, ils sont loin, bien loin, d’être totalement inédits. Comme si rien n’avait vraiment changé, comme si on assistait année après année au spectacle de la défaite de l’intelligence collective dans une surenchère de batailles médiatiques et médiatisées sur un média – la télévision – qui à l’heure des réseaux sociaux n’a de cesse de ne pas se réinventer.


C’est donc en tout logique que le Vu de l’année ne déroge en rien au format qui est le sien depuis sa création avec ses juxtapositions, ses oppositions, ses mises en miroir au long d’une chronologie qui restitue un an de télé et fait recouvrer la mémoire. D’émissions phares en pastilles télévisuelles, de programmes célèbres en JT en passant par des témoignages puissants et éclairés qui servent de trop rares contrepoints à la médiocrité galopante, le Vu de l’année fait une fois de plus prendre conscience de l’éphémérité des choses et de la propension naturelle à l’oubli coupable. Dans la lignée de 2019 et de 2020, le récit de 2021 semble se répéter à l’envi avec les mêmes actrices et acteurs, les mêmes problématiques (politiques, sociales, comportementales, climatiques), les mêmes outrances verbales, la même violence, les mêmes peurs liées à l’incertitude née des crises sanitaire ou migratoire, aux questions géopolitiques non résolues… À ceci près que ce qui était en germe auparavant ou s’abritait encore derrière une décomplexion présentée comme salutaire a occupé le devant de la scène cathodique et les esprits sur certains écrans, sur certaines chaînes de télé. Et la libération de la parole n’a malheureusement pas été le fait de dénoncer les injustices et les violences envers les femmes et les minorités. Ce serait même plutôt le contraire.

En avançant dans le visionnage du Vu de l’année, on ne peut que prendre conscience que les digues et barrages qui semblaient jusque-là peu ou prou résister face à la montée des intolérances, du racisme, de la xénophobie, de l’homophobie… ont purement et simplement été balayés. Alors que le montage tout en ironie (qui fait le sel de l’exercice) est toujours là, on constate avec amertume que le cut-up fait de moins en moins rire, voire sourire. Les hommes et les femmes du PAF qui ont animé cette année de télé (politiques, journalistes, gouvernants, chroniqueurs, animatrices et animateurs, citoyens lambda, activistes et artistes engagés contre le vaccin anti-Covid…) semblent tous avoir cédé à la tentation de l’extrémisme populacier. Dans une parfaite impunité, sans contradiction aucune, des plus anonymes aux plus représentés sur les plateaux des chaînes d’infos, ils et elles ont pu enchaîner provocations et inepties et dérouler des discours excluants et infamants sans ne jamais rencontrer qu’une résistance molle et de façade.


Jean-Luc Mélenchon qui demande « l’asile politique à Hanouna, parce que les fachos sont sur France 2 » ; Yves Calvi qui énonce le verdict prononcé contre Nicolas Sarkozy condamné à de la prison ferme, en ajoutant un « malgré l’absence de preuve » ; Christian Jacob qui suggère la suppression pure et simple du parquet financier ; Eric Zemmour qui déclare que « les groupes LGBT ont un agenda idéologique qui est de détruire la norme hétérosexuelle », qu’il faut « refaire la bataille d’Alger » pour lutter contre le « cancer du cannabis », que « les femmes afghanes, ce n’est pas [son] sujet » et qui, interrogé sur la question de savoir si la réduction des gaz à effet de serre est la « priorité des priorités » répond « la priorité, c’est la lutte contre l’immigration »… (sic).

Des films d’archives sur la France des colonies précèdent le polémiste en campagne qui regrette ce « temps béni » ; un animateur climato-sceptique se déchaînant sur le rapport du GIEC succède à la vision d’horreur du dôme de chaleur canadien ; un titre du 20 heures annonçant un énième féminicide cède la place à une vidéo d’un homme frappant au visage et par derrière une militante anti-raciste… Vu égraine et concentre le pire et le meilleur de la réalité à la télévision. La télévision, cet « instrument » que les anciennes générations ont porté aux nues et que les plus jeunes enterrent au profit d’Internet. La télévision, dont Edward R. Murrow (journaliste américain qui a produit une série de reportages qui ont aidé à la chute du sénateur Joseph McCarthy) disait que cet instrument « peut enseigner. Il peut éclairer et, oui, il peut même inspirer. Mais il ne peut le faire que dans la mesure où les humains sont déterminés à l’utiliser à ces fins. » Au sortir de ce Vu de 2021, après 4h12 de ce qui devient parfois au fil des séquences une longue ascension vers des sommets dans l’insupportable on repense aux mots entendus à 7’17 :
Les sociétés tolérantes sont particulièrement vulnérables aux discours utilisant comme armes la haine, la colère et le mensonge.
Le pitch du Vu de l’année sur le site de France 5 promettait des solutions et du rire malgré tout… Pour cela, il vaudra mieux se tourner vers un autre format, celui du génial (et inégal) mockumentaire Death to 2021 (sur Netflix) qui fait le même travail de rétrospective en assénant des punchlines cruellement hilarantes pour mieux souligner l’absurdité du monde. Mais les deux programmes ont en commun un même sous-texte : « Qu’avons-nous appris de 2021 ? – Que personne n’a rien appris de 2020. »
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Le VU de l’année 2021 est disponible en replay sur le site France.tv jusqu’au 10 janvier 2022.
Death To 2021, réalisé par Josh Ruben et Jack Clough avec Hugh Grant, Tracey Ullman, Stockard Channing, Christin Milioti… Disponible sur Netflix.