Don’t look up : un régal sur le désastre

Don't look up, Adam McKay © Copyright NIKO TAVERNISE/NETFLIX

Une comète destructrice pour métaphore de la catastrophe écologique, un scénario au vitriol et une intelligence au scalpel : tout est en place.

Incompétence des élites, cynisme des politiques, folie des techno-solutionnistes, bêtise des réseaux sociaux, trahison d’une partie des scientifiques, futilité des animateurs, vacuité des influenceurs, indécence des décideurs, lâcheté de tous… Il ne manque aucun des éléments du désastre dans la tragi-comédie d’Adam McKay. Pas même, en creux, les portraits de Donald Trump et d’Elon Musk les plus drôles et amers proposés jusqu’alors.

Certainement, le film ne restera pas dans les mémoires comme l’un des chefs d’œuvre de l’art cinématographique. Mais l’extraordinaire justesse du propos est frappante. Au point que le tour de force se révèle rapidement : on en vient à se demander qui du réel ou du long-métrage est la caricature de l’autre.

Don’t look up, Adam McKay © Copyright NIKO TAVERNISE/NETFLIX

Car derrière l’humour acide et flamboyant de cette satire délirante – qui se moque de nous et bien-sûr d’elle-même – se dresse l’un des constats les plus exacts et les plus éloquents de l’état du monde. Une image précise et sans concession du règne du dérisoire et du pouvoir des médiocres. Le comique de l’outrance ne dénature en rien la finesse et la perspicacité de l’implacable dynamique d’effondrement ici dépeinte.

Cate Blanchett, Tyler Perry Don’t look up, Adam McKay © Copyright NIKO TAVERNISE/NETFLIX

Tout souligne la fabuleuse capacité d’absorption et de dévoiement du système vers ce que Debord nommait la « société du spectacle ». Jusqu’à la fin du monde. Puisque le film ose pousser sa logique – c’est-à-dire la nôtre – jusqu’à sa conséquence inexorable, proposant une belle apocalypse, à la Melancholia — Ceci n’est pas un spoiler : d’abord parce que cette issue est évidente dès les premières minutes du film et, ensuite, parce que le « suspense » n’a, en l’occurrence, aucune importance ni aucun intérêt !

Seule scène émouvante et solennelle : la prière avant la mort dans laquelle se lie une petite communauté de fortune. Lâchant quelques mots désuets face à l’Armageddon : « en fin de compte, on avait vraiment tout, hein ? C’est vrai quand on y pense ». Brève et naïve épiphanie de sens dans le grotesque d’une farce érigée en méthode.

Don’t look up n’en fait pas trop. Son cynisme piquant et parfois méchant qui n’épargne ni les scientifiques ni les journalistes, et moins encore les prêtres de la technologie salvatrice, est à la très exacte mesure de l’inconséquence de ce temps. Drôle, autant que peut l’être la disparition de la vie. Brillant, autant que peut l’être l’exhibition de notre démence. Profond, autant que peut l’être la monstration du superficiel.

Plus puissant et plus risqué que les tentatives sur-intellectualisantes ou néo-poétiques : lire cette histoire au premier degré. À la loupe de la littéralité. Comme une pornographie. Entre métaphysique de l’obscène et burlesque de l’infime, un film réussi, à voir (sur Netflix, comble de l’ironie !) pour arborer le sourire triste – et toujours un peu cruel – des jours lucides. Ubu n’est plus roi, il est empereur.

Don’t look up, Adam McKay, 2h22, décembre 2011 avec Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep, Cate Blanchett, Ariana Grande sur Netflix