Le Vu de l’année 2020 : la télévision reflète (toujours) la réalité

Capture d'écran VU de l'année 2020 - Crédit France 3

C’est une tradition trentenaire qui perdure malgré les aléas de la vie des médias et les décisions des patrons de chaînes qui ont tour à tour supprimé ou transféré le programme de Patrick Menais, son producteur historique. Toujours le reflet de la télévision, Le VU de l’année 2020 (ex-Zapping) est un grand cru. Un exercice nécessaire pour un visionnage utile.

Le nouveau Coronavirus, la crise sanitaire, le(s) confinement(s), les élections américaines, George Floyd, le mouvement Black Lives Matter, les violences policières, les conséquences sociales de la pandémie, le procès des attentats de 2015, Beyrouth, les catastrophes naturelles… en 2020, il y avait bien évidemment assez d’actualité pour restituer un an d’images, de sons, de déclarations, de commentaires, de lapsus, de promesses… Le VU de l’année égraine donc 365 jours de télé et dépasse une fois encore son statut de simple récap’ télévisuel par son montage toujours aussi savoureux, son ton ironique et sa science du décalage. Rangé dans la case divertissement, VU n’en est pas moins un programme éditorialisé : en faisant se succéder les extraits empruntés à telle ou telle chaîne (sans lien apparent), les zappeurs-monteurs viennent tour à tour suggérer, pointer, dénoncer ce qui va ou vient d’être montré et permettent de regarder autrement ce qu’il est passé ou dit lors de la diffusion initiale.

Captures d’écran VU de l’année 2020 – France 3
Captures d’écran VU de l’année 2020 – France 3
Captures d’écran VU de l’année 2020 – France 3
Captures d’écran VU de l’année 2020 – France 3
Captures d’écran VU de l’année 2020 – France 3

Comme l’an dernier, l’édition 2020 ne manque pas sa cible et vient tendre un miroir grossissant à des programmes, des présentateurs et leurs invités, des personnalités de la politique et du spectacle (parfois les deux en même temps) et à leurs déclarations ou leurs prises de position. Comme l’an passé, on constate et on déplore que les combats (pour la paix, pour l’écologie, pour l’égalité, contre les discriminations…) sont les mêmes, que les batailles ne cessent jamais, que le monde ne change pas vraiment. Comme en 2019 et sans (trop) sombrer dans la misanthropie, on assiste médusé à la litanie des petites phrases, des discours des uns, des explications et des justifications des autres. Dans ce flot de courtes séquences qui, mises bout à bout, durent plus de quatre heures, et sans jamais verser dans la démonstration, Le VU de l’année fonctionne comme une loupe en revenant sur des faits et des paroles qu’on avait (parfois) oubliés, alors même que ceux-ci faisaient l’actu et pour certains déjà l’Histoire. Et l’on traverse toute la palette des sentiments, des plus positifs aux plus sombres.

Olivier Véran – 20 h de France 2 – Captures d’écran VU de l’année 2020 – France 3
Olivier Véran – 20 h de France 2 – Captures d’écran VU de l’année 2020 – France 3

Les exemples se suivent et VU ne se prive jamais de pointer les inanités et la bêtise : en début d’année, quand Cyril Hanouna s’amuse avec le Covid et à éternuer dans son coude en riant très fort, « je l’ai, c’est sûr ! » ; lorsque Carla Bruni se la joue rebelle en toussant et crachotant sur ceux qui l’approchent pendant un défilé de mode (à 45’50), expliquant qu’elle « n’a peur de rien, on n’est pas féministe, on craint pas le coronavirus ».

Autre séquence que VU s’attèle à commenter en creux : quand Frédéric Beigbeder juge Florence Foresti « consternante » parce qu’elle n’est pas remontée sur scène après que Roman Polanski a recueilli plusieurs César ;  Cyril Hanouna enfonce le clou en assurant le SAV de son employeur et explique sans vergogne  que « c’est une insulte au groupe Canal d’être partie avant la fin » et que s’il était patron du-dit groupe, il « prendrait des sanctions ». En contrepoint nécessaire, un extrait d’une interview de Giulia Foïs sur France 5 vient clore le débat sur la polémique Polanski aux César (à 40 min 14) :

On nous parle beaucoup de morale, mais il s’agit d’un crime en fait. On n’est pas en train de moraliser sur des pratiques sexuelles qui seraient par ailleurs licites. Il s’agit d’un crime. On nous parle de ça, on nous parle de faire le distinguo entre l’homme et l’œuvre. Mais vous croyez vraiment que, quand on est violée, on se demande quel métier exerce l’homme qui nous viole et s’il le fait bien ?

La loupe sait aussi se muer en microscope à charge contre la petite bête qui monte, la « Fox News à la française », CNews, avec ses têtes d’affiches et de gondoles, et il faut reconnaître que l’année 2020 n’a pas été chiche en énormités déclamées sans filtre par Eric Zemmour, Jean Messiha, Pascal Praud — qui par exemple estime qu’il faut changer le bandeau parce que Nicolas Sarkozy n’est pas jugé pour corruption, tout de même contredit par une de ses invitées venant laconiquement mais sûrement lui rappeler la vérité et les chefs d’accusation de l’ex-Président de la République…

Pascal Praud – L’heures des pros – CNews – Capture d’écran Le VU de l’année 2020 – France 3
Pascal Praud – L’heures des pros – CNews – Capture d’écran Le VU de l’année 2020 – France 3

ou Élisabeth Levy qui assène, toujours sur le plateau de L’Heure des pros, après un rappel à l’ordre du défenseur des droits au sujet des violences policières : « mais supprimons le défenseur des droits ! » (à 1h52’21).

Elisabeth Levy – L’Heure des Pros – CNews – Capture d’écran VU de l’année 2020 – France 3

Mais il y a aussi, dans ce Vu de l’année, des moments drôles et légers, des images (trop rares) empreintes de grâce, quand une parole vient rappeler que la télévision parle aussi à l’intelligence ou au cœur et peut remettre un peu d’humanité dans un paysage audiovisuel à la vacuité discutable : ce sont alors ces élans de solidarité, quand on applaudissait à la fenêtre en hommage aux soignants, ces actions et changements appelés par tous et voulus par quelques-uns, ce que nous ont enseigné l’histoire et quelques documentaires de la télé d’avant Internet. Le confinement aurait même permis un retour en grâce de la télévision : la durée d’écoute a augmenté d’un plus d’une heure par jour entre mars et mai – et « plus de 44 millions de Français (sont) désormais fidèles au poste ».

Mais pour regarder quoi, selon Télérama ? Le 20 heures, Arte, les chaînes d’infos et d’opinion, les valeurs sûres (Koh Lanta, L’amour est dans le pré), les rediffusions des classiques du cinéma français… Si le VU est le reflet de la télévision, il renvoie aussi aux  spectateurs, à leurs attentes et à ce que les chaînes leur donnent à voir et à entendre : des personnalités « clivantes » et des discours extrêmes, voire extrémistes, qui banalisent des opinions juridiquement condamnables (et quelquefois condamnées). Le VU de l’année rappelle que le pouvoir d’entrer dans les foyers des téléspectateurs s’accompagne d’une grande responsabilité : celle de ne pas montrer n’importe quoi, de ne pas laisser dire n’importe quoi, sans mise en contexte, sans contradiction, sans fact-checking, sans assumer les conséquences de ce qui est proféré à l’antenne. Et c’est tout l’art du montage de VU, ces juxtapositions, qui redonnent du sens. À défaut de remonter le moral.

C News – Capture d’écran VU de l’année 2020 – France 3
C News – Capture d’écran VU de l’année 2020 – France 3
François Busnel – La Petite Librairie France 5 – Capture d’écran VU de l’année 2020 – Crédit France 3
François Busnel – La Petite Librairie France 5 – Capture d’écran VU de l’année 2020 – Crédit France 3
François Busnel – La Petite Librairie France 5 – Capture d’écran VU de l’année 2020 – France 3

Le VU de l’année 2020 est disponible en replay sur le site France.tv.