En 2012, Jacques Tardi entamait un voyage dans l’histoire personnelle des Tardi père et fils : en retranscrivant (le terme d’adaptation serait trop impersonnel) les carnets de son père, le fils faisait œuvre de mémoire et racontait par le menu les silences paternels, la guerre et la capitulation éclair, l’enfermement dans un camp de prisonniers. Ainsi naissait Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB, une série de trois albums à laquelle Jacques Tardi met fin avec Après la guerre.
L’histoire est en marche. L’Allemagne a capitulé et le camp des vainqueurs peut s’enorgueillir d’avoir libéré les peuples du joug nazi. Pour autant, tandis qu’il prend le chemin du retour, l’ex-prisonnier de Stalag Tardi a beaucoup de difficulté à exulter comme des millions de ses compatriotes. La faute aux militaires responsables de la débâcle, la faute aux populations qui se sont compromises dans la collaboration, la faute au manque d’aide au retour en France des milliers de soldats en captivité.

Sur le même rythme que dans les deux tomes précédents, et avec la même structure en dialogue entre Jacques et son père, les deux acteurs du livre racontent, déroulent et surtout commentent l’histoire avec un grand H en même temps qu’ils feuillettent les carnets familiaux. Le ton est désabusé et les premières années suivant la libération sont dépeintes avec nostalgie et une férocité certaine quant à l’état d’esprit régnant alors. On est dans l’immédiat après-guerre ; la liesse cède la place à l’épuration et au besoin de vengeance, à l’occupation alliée en Allemagne (bis repetita…), à la découverte des camps de concentration et à l’ampleur de la solution finale mise en place par le régime nazi.

Comme dans les deux premiers « épisodes », l’antimilitarisme forcené de Jacques Tardi s’exprime naturellement. On assiste même à sa naissance : on comprend comment, de Saint-Marcel-Les-Valence à Paris, la conscience politique de l’auteur s’est forgée en marge de l’engagement militaire du père (lui-même très critique vis-à-vis de ses propres choix). Les cases personnelles succèdent aux faits historiques, annotés, soulignés, empreints d’humour noir et de lucidité.
Géopolitique, événements, implications historiques : après les années sombres de notre histoire, Tardi fait revivre ces années grises de la France par le prisme du destin familial. Et ce qui se vivait auparavant comme un dialogue devient dès lors un échange à rebours, Tardi-fils semblant vouloir dire par dessin interposé ce qu’il n’a pas pu expliciter à Tardi-père.

L’émotion est aussi palpable quand on découvre les années d’apprentissage de Jacques jeune tandis que son père est en Allemagne avec les armées d’occupation. C’est alors que le voile se lève : on comprend la formation, la passion pour la bande dessinée, la fascination pour l’histoire (Napoléon, Rome, la grande-guerre racontée par sa grand-mère), l’amour des mots et des lettres, le cinéma, l’aventure, l’imaginaire…
Plus qu’un album de famille qui se referme, Après la guerre se donne comme un récit d’apprentissage et un hommage de l’auteur à l’auteur de ses jours.
Jacques Tardi, Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB – Tome 3, Après la guerre. 160 p., couleur, Casterman 25€
Extraits à lire ici.
