Les Bureau Des Légendes : espions sur échiquiers

Mathieu Kassovitz (Malotru) © TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS / CANAL+

Depuis le 22 octobre dernier et à chaque nouvel épisode, on a envie de dire « précédemment dans Le Bureau des Légendes » à l’américaine et en VO avec la voix grave d’un mec qui fume trois paquets de cigarettes par jour depuis vingt ans. Alors que la saison 4 s’achève ce soir sur Canal Plus, Le Bureau des Légendes est déjà disponible en intégralité et en replay sur les plateformes pour une expérience de « visionnage boulimique » (en VF dans le texte).

Précédemment, donc, Malotru (Mathieu Kassovitz) échappait à un piège tendu par le renseignement français. Parce qu’il a trahi ses collègues par amour, parce qu’il a fait défection et s’est vendu aux Américains. Parce qu’il a voulu aller au bout ce que sa légende lui avait permis de vivre. La DGSE résume la situation en une phrase : « Malotru est atteint du syndrome du clandestin ». Il n’est plus lui-même. Mais qui est-il en fait ? L’agent, l’espion, le clandé qui sous couverture de sa légende, évolue en milieu hostile, sous l’identité de Paul Lefevre ? L’homme, l’ami, le collègue, le père qui ne peut plus voir sa fille ? Les deux étant contraints d’avancer masqués, une identité cachant, effaçant l’autre. Une dualité impossible à tenir. Et qui le pousse à l’exil permanent. Hors des frontières françaises, loin de ses proches et de lui-même.

Mathieu Kassovitz (Malotru) © TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS / CANAL+

En quatre saisons, Le Bureau des légendes peut se vanter d’être devenue la série la plus aboutie, la mieux écrite et la plus palpitante que la France a connu depuis bien longtemps et, qui plus est, dans un genre dominé par les Anglo-saxons. Si les show-runners du Bureau ont adopté la méthode américaine avec une équipe de scénaristes et d’auteurs qui écrivent leur partition à plusieurs mains, la mise en scène, elle, est une antithèse des Homeland, Looming Tower  ou Jack Ryan. Ce qui n’empêche pas la série d’Eric Rochant d’être spectaculaire, tout en préférant l’intime à la pyrotechnie, la psychologie à l’action, l’ambigu au manichéen, la lenteur au rythme calculé (relire par ailleurs ce que l’on en disait lors de la deuxième saison).

Florence Loiret Caille (Marie-Jeanne), Anne Azoulay (Liz) © TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS / CANAL+

Réfugié en Russie, Malotru survit sans cesser de penser à un éventuel retour, sachant que son statut de renégat récidiviste lui ôte toute option pour une rédemption future. En France, la chasse à l’agent double a laissé des traces. JJA, le directeur du bureau de la sécurité de la DGSE (Mathieu Amalric, aussi froid, retors et paranoïaque qu’il est permis de l’être), veut dissoudre le service des légendes dirigé par l’ex-veilleuse Marie-Jeanne Dutilleuil (Florence Loiret-Caille) depuis la mort d’Henri Duflot (Jean-Pierre Daroussin).

Entre les services, la guerre est déclarée : JJA veut une purge à tout prix, quitte à dresser les membres du service les uns contre les autres. Pour autant, la planète renseignement ne doit pas s’arrêter de tourner : Phénomène (Sara Giraudeau), toujours sous sa couverture de sismologue timide et amoureuse, devient Rocambole et part à Moscou pour infiltrer l’institut Boulgakov (tout un roman). Et Jonas (joué par le surprenant Artus) continue d’œuvrer pour démanteler les filières djihadistes qui menacent le territoire.

Mathieu Kassovitz (Malotru) © TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS / CANAL+

Tout en langueur, avec ce vrai faux rythme qui privilégie la construction méticuleuse d’une intrigue ultra documentée, en prise avec l’actualité récente, les peurs résiduelles (le spectre de nouveaux attentats sur le sol français) et les défis à venir (la cyber-sécurité, l’ambivalence russe, le retour d’une hypothétique guerre froide…), le Bureau s’enrichit de nouvelles légendes avec un César/Sylvain plus Asperger que nature en cheval de Troie à l’assaut du système russe, augurant d’une cinquième saison en mode war game

Jules Sagot (Sylvain Ellenstein) © TOP THE OLIGARCHS PRODUCTIONS / CANAL+

Originale dans sa construction, effrayante de réalisme et cultivant son statut de série intimiste qui renouvelle le genre de la série d’espionnage, Le Bureau des Légendes saison 4 est une réussite et la démonstration que sur l’échiquier des séries télé, il faut plus que jamais compter avec les espions made in France.

Le Bureau des Légendes, saison 4, épisodes 9 & 10, le 19 novembre à 20 h 50 sur Canal+. Saisons 1 à 4 disponibles en intégralité sur Canal + à la demande. Une série créée par Éric Rochant avec Mathieu Kassovitz (Guillaume Debailly), Sara Giraudeau (Marina Loiseau), Florence Loiret Caille (Marie-Jeanne Duthilleul), Jonathan Zaccaï (Raymond Sisteron), Mathieu Amalric (JJA)
Réalisateurs : Éric Rochant, Pascale Ferran, Anna Novion, Antoine Chevrollier, Laïla Marrakchi
Scénario : Eric Rochant, Cécile Ducrocq, Vincent Mariette, Capucine Rochant, Gaëlle Bellan, Camille De Castelnau, Claire Lemaréchal, Quoc Dang Tran, Raphaël Chevènement, Joëlle Touma, Olivier Dujols, Dominique Baumard
Musique originale : ROB