La série développée pour Hulu et disponible sur Amazon Prime n’est pas exempte de reproches ni de défauts mais force est de reconnaître que The Looming Tower (la tour qui se dessine au loin) possède des qualités indéniables au premier rang desquelles on trouvera une réécriture de l’histoire récente, une analyse à charge des méthodes du renseignement américain alors en vigueur et les conséquences funestes que l’on connaît.
Retour à la fin des années 90 : tandis qu’une partie du monde se prépare fébrilement au potentiel bug de l’an 2000, d’autres préparatifs moins légers sont à l’œuvre en Afghanistan. Al Qaïda s’affaire, ses rangs grossissent et son aura grandit dans le monde islamique radical. Des chefs de guerre aux martyrs à venir, adultes comme enfants, du Yémen à l’Arabie Saoudite, l’organisation terroriste est montrée de l’intérieur dans la série, ni célébrée, ni fantasmée. Il y a dans la manière de tourner et de dépeindre le quotidien d’un camp d’entraînement (avec ces enfants qui jouent au football, maillot de Manchester sur les épaules), de dérouler les discours froids, d’exposer les buts et les croyances des terroristes, une quasi objectivité glaçante.
Imaginée à partir du livre de Lawrence Wright, The Looming Tower : Al-Qaeda and the Road to 9/11, la série explore les tenants et les aboutissants de la chute annoncée du World Trade Center le 11 septembre 2001. Revisitant le passé, The Looming Tower se veut la chronique fictionnalisée d’un effondrement annoncé et d’une montée en puissance du terrorisme islamique de par le monde. Réel (minutes de la commission d’enquête, images d’archives) et imaginaire (les dialogues, certains éléments de narration comme les scènes afghanes) se mêlent et l’historiographie prend alors des allures de plaidoyer pour la paix et de procès d’une certaine Amérique, voire d’un monde occidental qui agit sans se préoccuper des implications à long terme. Bien avant les attentats du 11 septembre, de Nairobi à Dar Es Salaam jusqu’à l’attaque de l’USS Cole par des kamikazes dans le port d’Aden au Yémen, The Looming Tower entend démont(r)er la fabrique du terrorisme en montrant l’inconséquence des décisions passées et les choix « stratégiques » des Occidentaux… tout en rendant un hommage appuyé aux motivations personnelles et idéologiques des combattants du FBI.
Dès lors, si la série mêle romances personnelles et s’attarde (parfois un peu lourdement) sur les amours multiples de John O’Neill (Jeff Daniels), celles plus contrariées d’Ali Soufan (Tahar Rahim) ou celles (teintées de domination) de Martin Schmidt (Peter Sarsgaard), c’est pour mieux apparier le personnel et le collectif, l’intime et le professionnel. Pour montrer les motivations des uns – Ali Soufan, musulman, d’origine libanaise, américain d’adoption –, les obsessions des autres (la soif de justice de John O’Neil ou la morgue va-t-en-guerre du chef de la station Alec, Martin Schmidt). Les secrets du renseignement sont au cœur de la série : The Looming Tower met en lumière (jusqu’à la démonstration) les manipulations, comment chaque camp cherche à avoir l’oreille du conseiller à la sécurité, donc celle du président (Bill Clinton englué dans le scandale Monica Lewinski d’abord, puis George Bush Jr. auquel il faut écrire des mémos courts afin qu’il puisse comprendre les enjeux). Le constat est effrayant. On assiste médusé à une guerre interne qui se joue via les messageries sécurisées à grands coups d’accès autorisés et d’information classifiées ou non. Et quand la CIA décide de ne pas divulguer les informations qu’elle détient (et qui pourrait faire avancer l’enquête du FBI), on se prend à écarquiller les yeux, on mesure l’enchaînement des événements à l’aune de l’effondrement inéluctable des tours jumelles.

Formellement, The Looming Tower a cette sobriété qui fait défaut à American Sniperou Zero Dark Thirty et son interprétation cinématographique : la guerre contre le djihadisme et Al Qaida et ses conséquences humaines et géopolitiques. Centrée sur les personnages (avec un Tahar Rahim étonnant de maîtrise de la langue américaine et de son jeu d’émigré pris entre deux feux), la série souffre parfois d’un pathos trop prononcé qui déséquilibre l’ensemble : on passe des arcanes de la surveillance et de la prévention des attentats aux frasques sexuelles ou aux émois amoureux des uns et des autres. La réalisation plutôt classique, qui lorgne vers les séries qui se passent sur la côte Est (NYPD Blue, Law & Order, The Good Wife) se veut réaliste, sans effets superflus ou presque, et tient en haleine en affectant de distiller en fil rouge les révélations des protagonistes lors des auditions devant la commission d’enquête.

Passionnante à plus d’un égard, la série martèle son propos « on savait, on n’a rien fait », répétition qui tient lieu de colonne vertébrale et de conclusion. Si de New York à Washington, le FBI et la CIA se livrent dans The Looming Tower à une lutte fratricide presque caricaturale, celle-ci pourrait être presque risible si l’on était devant un épisode d’Homeland. Sauf que dans la réalité, batailles d’ego, luttes d’influences, querelles d’experts, prés carrés, politique politicienne et agendas personnels qui se sont invités dans les réunions entre les conseillers de l’ombre ont été lourds de conséquences que nous connaissons tous.
The Looming Tower, créé par Dan Futterman, Alex Gibney, Lawrence Wright. Avec Jeff Daniels, Tahar Rahim, Wrenn Schmidt, Bill Camp, Louis Cancelmi, Virginia Kull, Ella Rae Peck, Peter Sarsgaard, Alec Baldwin… dans les rôles principaux. Intégrale disponible sur Amazon Prime.