9h08, j’attaque le nouveau Harlan Coben, Sans Défense, le retour de Myron Bolitar, ex-star en devenir des Boston Celtics, ci-devant agent sportif et vrai enquêteur privé comme l’Amérique les aime tant.
9h09. C’est une histoire de disparition non résolue, encore une, me dis-je fort de mes lectures successives de presque toutes les livraisons du boss du thriller et avec un « sens aigu de la déduction » et du sarcasme.
10h12, l’enquêteur qu’on n’attendait plus est déjà dans l’avion et sur le coup. On lui propose un alcool fort mais il préfère un soft drink. J’opte pour un café. 11h16. Le disparu est déjà retrouvé.
11h18. Je me refais un café.
11h19, derrière l’histoire du disparu se cache un obscur secret. Le mystère est entier et le disparu re-disparaît.
11h54, finalement, l’enquêteur prendra un cognac.
12h57, le disparu est re-retrouvé et le secret révélé.
13h08, après avoir terminé le livre et mon troisième café, je serais plutôt chocolat.
A l’instar du héros à la première personne de Sans Défense d’Harlan Coben, il n’est pas exclu que les oreilles de l’auteur de Ne le dis à personne, de Disparu à jamais ou de Double piège, « bourdonnent » en lisant cette critique, car comme à l’accoutumée depuis 27 ans (l’âge idéal pour mourir quand on est rocker, mais beaucoup moins adapté pour faire valoir ses droits à la retraite), Harlan Coben nous (re)sert une intrigue policière sur fond de disparition mystérieuse (pléonasme), de poings qui se « serrent inconsciemment », de tueurs ou de kidnappeurs qui « frappent vite et violemment », de secrets de famille bien enfouis sous des années de silence, de « cœurs qui explosent en mille morceaux » et de pouls qui s’accélèrent… A se demander une nouvelle fois si Harlan ne changera pas de style et/ou de sujet quand les pouls auront des dents.
Tout commence à Londres, et Harlan Coben rend dès les premières pages un hommage appuyé à J.K. Rowling en arrivant à glisser que le narrateur du début regrette de ne pas posséder une cape d’invisibilité afin de pouvoir traverser la gare de King’s Cross après avoir estourbi trois gorilles au rasoir à main tout en se plaignant d’avoir été aspergé du sang frais des malfrats et de devoir retourner chez son tailleur – assurément riche. Las, ce qui ne nous tache pas nous rend plus fort.

Avant de continuer à spoiler, il faut tout de même reconnaître certaines qualités à Sans Défense : on a plaisir à retrouver Myron Bolitar et Win, Esperanza et Big Cindy, les dialogues plutôt enlevés arrivent à faire régulièrement naître un sourire (sans déclencher l’hilarité non plus, n’exagérons rien).
Pour les adeptes du fosbury, les scories inévitables se sautent aussi allégrement qu’une table basse. La narration à la première personne est d’une manière assez surprenante (et appelée) le moyen pour Harlan Coben de nous dire tout l’amour qu’il porte à son héros Myron…

Quand il ne s’agit pas de faire des clins d’œil à sa propre bibliographie :

Mais revenons à nos chers disparus. Parce qu’ils sont deux en fait. Deux jeunes garçons, enlevés dans la force de l’enfance, et depuis au cœur d’une enquête qui n’a rien donné il y a dix ans. Myron et Win regrettent de ne pas s’être chargés plus tôt de cette investigation (tiens oui, c’est vrai, ils étaient où au moment des faits ? On ne le saura jamais). Quoi qu’il en soit, de Londres à Boston, de Rome à Washington, même si les détectives en complets ne ménagent pas leurs efforts et ne regardent pas à la dépense pour résoudre l’énigme tout en débitant les bons mots, les private jokes et leurs ennemis en tranches, le démarrage de l’intrigue patine et le livre pâtit d’un style plat (et paradoxalement gonflé à l’hyperbole). A tel point que Sans défense tient parfois des rushes de Demain nous appartient sur TF1 ou des meilleurs passages de Central Park de Guillaume Musso. Mais si, vous savez bien, ce livre dont son auteur pense qu’il a écrit un grand roman américain parce qu’il se passe à New York et fait plus de 390 pages.

C’est parfois avec les yeux très écarquillés et un rictus bien involontaire à la commissure des lèvres que l’on découvre certaines lignes :
• « Elle était habillée comme une pute américaine des années soixante-dix » avec son « corsage violet qui la gainait façon peau de saucisse » ;
• Regarder le ballet des prostitués devant la gare londonienne, « c’est comme observer un distributeur de boissons dans une station service » ;
• Romance et suspense insoutenable : « elle fit volte-face et son cœur explosa en mille morceaux. (…) Et ce fut à ce moment-là, précisément, que le téléphone sonna »… Dans un accès de lucidité sûrement, Harlan Coben confesse plus loin, et par la bouche de Myron Bolitar, qu’il file une « maigre métaphore ». Le lecteur ne le démentira pas.
A l’inverse de romans arides qui réussissent à happer d’emblée le lecteur, le Bolitar 2018 est bien moins goûteux que les précédents crus, pour filer à mon tour la comparaison faible : pas moins de cent pages sont nécessaires pour être enfin presque aussi captifs que les enfants kidnappés !
Alors, il faudra s’armer de patience et de courage pour passer outre l’apathie stylistique dans laquelle baigne Sans Défense et suivre Myron, Win et consorts dans la résolution de cette nouvelle affaire de disparition signée Harlan Coben.
Harlan Coben, Sans Défense, trad. de l’américain par Roxane Azimi, Belfond Noir, mars 2018, 396 p., 21 € 90.