Survivance de la luciole: « Denis Roche énergumène » en Arles Les 6 et 7 juillet 2016

© 1985 Denis Roche

Devant les ultimes photos de Proust, dans les derniers moments de son séminaire à la lisière de 1980, Barthes a laissé échapper une définition de l’image qui semble en épuiser la matière nue, celle qui veut qu’« une image, c’est, ontologiquement, ce dont on ne peut rien dire. » Nul doute que Denis Roche aurait pu, depuis sa discrète mais aussi bien intense et décisive activité de photographe, souscrire à ce bientôt presque aphorisme de Barthes, lui, Denis Roche, qui, poète ultime, sur la frange de ce qui ne se verra pas, trouve très tôt dans l’image fixe et le plaisir joint de la chambre claire et de la photographie le moment opportun, la tuché folle qui dérobe, par la vision, le langage au langage. Et sans doute a-t-on encore trop peu parlé du Denis Roche photographe, lui qui, pourtant, avait fait de la photographie le double résolu, l’intime doublure de sa poésie. C’est à ce patent manque que vient répondre « Denis Roche énergumène », une série inédite de rencontres sur deux jours, ce mercredi 6 et jeudi 7 juillet au Théâtre d’Arles, à l’orée des Rencontres de la photographie, deux journées absolument fécondes et neuves organisées par Nathalie Lacroix du Bureau des activités littéraires, conseillée par Bernard Comment, écrivain et éditeur, directeur de la collection « Fiction & Cie » au Seuil, collection dont le fondateur n’est autre que Denis Roche.

Et c’est le Denis Roche photographe, disparu en 2015, qui y sera sondé, qui se verra interrogé depuis son envers négatif, depuis la part sombre de ce qui sort de sa poésie pour immanquablement mieux y entrer et y figurer.  Deux journées ainsi qui sonderont le punctum du geste photographique de Roche, lui qui disait qu’il écrivait pour être seul, qu’il photographiait pour disparaître.

Ces deux journées vous conteront les modalités de ce désapparaître à soi, de ce moment où la photo surgit pour venir déparler et le monde et l’image, parce que l’image est une substance fragile chez Roche. Elle est presque inadmissible. D’ailleurs elle n’existe presque même pas. L’image est une fuite ou tout du moins une fugitive, une impression si subtile qu’elle décroit, qui ne trouve parfois pas la force de se maintenir à l’œil depuis une persistance rétinienne : qui surgit, à la rimbaldienne manière, comme une illumination, une épiphanie du désastre qui donnera de la vie sa ruine sensible, son surgissement ultime, son défunt monde encore entraperçu. On ne s’étonnera dès lors guère que pour Roche le destin de la photo convoque celui de l’être de la fragilité, du diaphane, de l’évanescence : la luciole, la lumière toujours au bord de ne pas être et de surgir comme le pixel perdu de toute image mais son intense et infinie promesse, et qu’éclaire la réédition ces jours-ci de La Disparition des lucioles (Réflexions sur l’acte photographique) de Roche chez « Fiction & Cie ».

La Disparition des lucioles (Réflexions sur l’acte photographique)

Deux journées ainsi construites en autant d’ateliers de réflexions entendant donner carte blanche à un créateur qui, à son tour, invite autant d’auteurs d’artistes, chercheurs, cinéastes et photographes ayant notamment connu Denis Roche pour interroger la relation toujours mouvante et complexe de Roche à la photographie : ce sera notamment l’occasion de retrouver Sophie Calle, Léa Bismuth, Anne-Marie Garat, Tiphaine Samoyault ou encore Jean-Marie Gleize mais tant d’autres encore que le programme détaillé ci-dessous donne à voir. Emmenées par Bernard Comment, Anne-Lise Broyer, Jean-Christophe Bailly et Laure Limongi, les formes des interventions y seront plurielles comme l’œuvre de Roche et se déploieront notamment en conversations, ateliers, projections et rencontres. Car plus que jamais la luciole ne disparaît pas : comme celle qu’apercevait Pasolini dans la nuit romaine au milieu du siècle dernier, Roche surgit de lumière au moment où on l’a cru emporté de mort et d’oubli. Il scintille de nouveau à l’horizon de la pensée.

Denis Roche, La Disparition des lucioles (Réflexions sur l’acte photographique), Seuil, « Fiction & Cie », 2016, 200 p., 25 €

Détail des journées : MERCREDI 6 et JEUDI 7 JUILLET 2015 au THÉÂTRE D’ARLES

MERCREDI 6 JUILLET

10H – 12H / BERNARD COMMENT INVITE :
– Sophie Calle, artiste
– Jacques Damez, photographe, galerie Le Réverbère
– Quentin Bajac, conservateur pour la photographie au MoMa

+ interview filmée de Patrick Bouchain, architecte et scénographe

12H15 – 13H30 / HEART OF A DOG :

Projection du film Heart of a Dog de Laurie Anderson, en présence de l’artiste- réalisatrice (1h15mn).

15H – 17H / ANNE-LISE BROYER INVITE :
– Nicolas Comment, photographe et musicien
– Léa Bismuth, commissaire d’exposition
– Anne-Marie Garat, écrivain
+ interview filmée de Bernard Noël, poète.

JEUDI 7 JUILLET

10H – 12H / JEAN-CHRISTOPHE BAILLY INVITE :
– Bernard Plossu, photographe
– Patrick Le Bescont, éditions Filigranes

+ film-interview de Guillaume Geneste, tireur de Denis Roche, et Catherine Dérioz, galeriste de Denis Roche (Le Réverbère, Lyon)

– Tiphaine Samoyault, auteure
– François Lagarde, photographe
– Christine Baudillon, réalisatrice, éditions Hors-Oeil créées avec François Lagarde

15H – 17H / LAURE LIMONGI INVITE :

– Jean-Marie Gleize, poète
– Luigi Magno, chercheur (Italie)
– Magali Nachtergael, chercheuse
– Stéphanie Solinas, artiste