Tour du monde du livre en moins de 80 jours dans les pages culturelles de nos confrères, par la rédaction Diacritik. Des choix, subjectifs, volontairement lacunaires, souvent orientés, parfois énervés.
Dans le numéro de septembre de Vanity fair, Elisabeth Philippe demande au traducteur Francis Kerline de raconter l’odyssée Infinite Jest. Le roman de David Forster Wallace vient de paraître (17 août 2015) aux éditions de l’Olivier sous le titre L’Infinie comédie : 1500 pages serrées (graphie comme contenu) — la critique chargée du livre pour Diacritik promet d’en parler dès qu’elle aura fini de le lire, soit… pas tout de suite (le traducteur lui-même estime la durée de lecture moyenne à un mois et demi. En ne faisant que cela s’entend NDLR)..
Francis Kerline raconte donc la difficulté de rendre en français un texte culte et ardu, à la structure éclatée, aux néologismes complexes. Trois ans de travail, avec consultation de la traduction espagnole, de sites de fondus de l’œuvre de Wallace qui analysent l’œuvre page par page comme l’Infinitejest Wallace Wiki ou l’Infinite Atlas.
Pour en revenir à l’article de départ, Francis Kerline se dit heureux d’être venu à bout de ce texte « impressionnant », attendu depuis des années par les lecteurs français. Car l’histoire de ce livre vaut elle aussi reportage, tant elle a tourné à la saga voire au film catastrophe. C’est dans Slate que l’on peut poursuivre la découverte de ce projet fou, « la momie de Toutânkhamon de l’édition française » sous la plume de Titou Lecoq. En le lisant, vous saurez tout sur l’histoire de ce livre, longtemps serpent de mer, voire Arlésienne de l’édition française. Ajoutons que si Francis Kerline a traduit le roman, les notes de fin d’ouvrage sont de Charles Recoursé. Dans le même numéro, l’inévitable Charles Dantzig, en promo pour son Histoire de l’amour et de la haine, qui évoque l’indispensable cravate, accessoire du dandy moderne.

Books consacre lui aussi trois pages à cette traduction d’Infinite Jest, via un entretien avec Francis Kerline qui confie combien ce travail a failli le rendre « fou ». Beaucoup d’articles intéressants dans ce numéro, on y reviendra. David Forster Wallace est en couverture du Matricule des Anges qui consacre un énorme dossier au « carnaval des tristes » de l’écrivain. On y retrouve une interview de Francis Kerline (dont on louera, au passage, la capacité à varier réponses et angles…), des analyses d’Infinite Jest mais plus largement de l’œuvre de DFW, complexe et foisonnante, à l’image du diagramme des connections entre les personnages de son roman testament, reproduit aux pages 18 et 19 du mensuel. Une carte à retrouver en intégralité ici (et que vous pouvez aussi acheter sur le site pour la modique somme de 25 $ puis afficher dans votre salon pour vous repérer en lisant IJ, comme le disent les initiés — ou les snobs).
Bon, mais on parle d’autres choses que de la traduction d’IJ dans la presse française ? Oui. Ouf.
Dans le magazine Lire, un panorama de quelques-uns des 393 romans de la rentrée littéraire française (la rentrée étrangère sera traitée dans le numéro daté d’octobre), des extraits (dont bizarrement beaucoup de livres étrangers) et un long entretien avec Mathias Enard, depuis juin annoncé favori du Goncourt (le point commun entre le monde littéraire et le PMU ? Les pronostics). On y trouve également une visite de l’appartement de Jean-Christophe Grangé (qui collectionne les parapluies, les plantes à feuilles vernies et les pantoufles).
Dans Le Magazine littéraire, un dossier spécial « les romans de la rentrée » (si à propos…), mais aussi le paradoxe Zola, artiste du roman et intellectuel engagé — pas si loin de l’actu non plus puisqu’un roman de Zola est au programme de l’agrégation de Lettres 2015. Le grand entretien nous fait rencontrer Martin Amis pour son roman La Zone d’intérêt — lancé comme un buzz, scandale qui a fait flop —, un édito de Pierre Assouline qui tempête contre les clichés de la rentrée littéraire — grand marronnier devant l’éternel échotier, d’autant plus paradoxal que dès la page 8 le lecteur peut se lancer dans une partie de jeu de l’oie endiablée pour tenter de pronostiquer (on y revient) les grands vainqueurs des prix littéraires d’automne.
Dans Transfuge, comme dans chaque numéro, le pire côtoie le meilleur. Dans le meilleur, des portraits de coulisses, la librairie Comme un roman, un court entretien avec Augustin Trapenard revenant sur la place des livres dans la grosse machine du Grand Journal et de l’audimat à tout crin, quelques choix critiques, de belles plumes. Le pire : tenter de nous faire croire que la Bibliothèque Médicis sur Public Sénat est « l’émission littéraire la plus select du petit écran ». L’une des très, très rares émissions littéraire du PAF serait plus juste, et comment ne pas être select face à La Grande Librairie qui est l’autre émission purement littéraire de nos programmes ? Tartiner sur tout ce qui sort chez Grasset, en faire vraiment beaucoup trop sur Liberati et son Eva. D’ailleurs Transfuge a décerné ses prix littéraires, Dantzig et Liberati ex-aequo évidemment… Et, dans ces 17 titres pour 14 prix, comment comprendre ce choix de distinguer parmi les champs linguistiques de la littérature étrangère — allemand, anglophone, hispanique, africain, scandinave, etc. — en oubliant tout le continent asiatique ?
Mais il n’y a pas que les magazines littéraires qui parlent de livres. Dans le dernier numéro de Vivre Côté Paris (août-septembre 2015), une large place est offerte aux bibliothèques : des livres à chaque page, ou presque. Douglas Kennedy, en promo pour son dernier roman en date (Mirage, chez Belfond) nous fait entrer son appartement parisien, nous expose et raconte ses livres, cahiers, stylos (qu’il collectionne), révèle le titre qui lui a donné envie d’écrire (La Fin d’une Liaison de Graham Greene puis la lecture de Ginsberg) et il évoque les polars qui sont pour lui des « théâtres d’idées » comme les librairies qu’il fréquente. Le tout en mots et en photos. Amanda Sthers ouvre les portes de sa maison de l’Yonne, avec ses livres, son immense échiquier dans le jardin, sa piscine dans une grange et les objets qu’elle chine. Deux séries qui illustrent, aussi, le lien de l’intime (ici ouvert) et des livres. Et parmi ces lieux à couper le souffle, la boutique café bibliothèque de Sonia Rykiel, lieu d’exposition et ses milliers de volumes.
Quinzomadaire
Dans Society, n° 15 (du 18 au 30 septembre), une rencontre à Moscou avec Limonov (le vrai, pas celui qu’a romancé Emmanuel Carrère, en 2011), toujours aussi sulfureux. Il vient de publier Le Vieux (traduction française chez Bartillat). Dans ce « quatre-pages », il parle de la guerre (« la santé des nations »… selon lui), de Poutine et des femmes. De l’interdiction de ses livres par les autorités ukrainiennes pour « incitation à la haine et au séparatisme », de Stratégie-31, etc. Et l’article de Pierre Boisson, formidable, montre comment « Limonov l’écrivain n’a jamais eu d’autre sujet que Limonov le personnage. Ses aventures sont la matière de sa littérature, aussi est-il condamné à mener sa vie comme dans un roman pour continuer à écrire » (p. 74).
Hebdomadaires
Dans Le Monde des livres, une enquête de Virginie Bart sur les lectures publiques d’écrivains, « cet art de la scène, la lecture« . L’Obs compare Mathias Enard à Balzac. Sur la photographie qui illustre les quatre pages d’articles, c’est flagrant. Pour ce qui est des univers romanesques, on est moins convaincu (ce qui n’enlève rien au talent de Enard, évidemment, dont Zone est sans doute l’un des plus grands romans français publiés ces dernières décennies). Mais quatre pages sur un grand romancier contemporain, par Grégoire Leménager, ne boudons pas notre plaisir.
Dans Elle, une notule sur le monde de la BD au féminin titré « ras la bulle », pour mettre en valeur l’action de 70 auteures qui se sont rassemblées dans un Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme parce qu’elles en ont assez d’être si peu éditées et considérées. Lisez leurs témoignages sur leur site, c’est édifiant. Dans le même numéro, une tartine sur le dernier roman de Nicolas Fargues (Au Pays du petit, P.O.L) d’une vacuité qui friserait le néant s’il n’était pas aussi pompeux et infatué de lui-même (le roman, pas l’article qui tente de comparer Fargues à Reiser ou Bretécher qui n’ont vraiment pas mérité ça). Pourtant l’auteur déclare que son silence de trois ans est lié au fait d’avoir trouvé son « roman précédent très mauvais, je me sentais à bout de souffle, usurpateur ». Espérons que sa prise de conscience pour celui-là sera plus rapide… On préfèrera, quelques pages plus loin, l’entretien (trop court) avec l’immense David Grossman (Un cheval dans un bar, au Seuil).
Dans Grazia, un hommage magnifique au photographe japonais Takuma Nakahira, mort le 3 septembre dernier dans l’indifférence générale de la presse française. Profitons de cette notule « presse » pour souligner le travail de fond absolument sidérant de Joseph Ghosn qui transforme le titre féminin en écho des laboratoires contemporains. Sous l’influence de Godard — d’où l’article du papier de Philippe Azouri, « L’Adieu au langage » — et Barthes, Takuma Nakahira construit son art photographique comme un attentat contre le réel, une manière d’obliger le spectateur à perdre tout langage face à cette représentation du monde, floue, granuleuse, sans mise au point. Ce sera la ligne dure de ses images, comme du « dazibao » artistique et politique qu’il fonde avec sa revue Provoke. Ce très bel article est à lire des pages 50 à 52 du magazine.
Dans La Croix (supplément Livres daté du jeudi 17 septembre), un formidable dossier monté par Sabine Audrerie sur les « Migrants, mémoire du monde ». Frédéric Boyer invite à retrouver la figure du réfugié dans les grands textes fondateurs et montre combien nos civilisations se sont construites sur la migration. Au fil des pages on retrouve des livres parus en cette rentrée (Tous nos noms, Encore), d’autres plus anciens (Perec, Maylis de Kérangal, Arno Bertina), des historiens (Patrick Boucheron) pour montrer combien la littérature est « terre de refuge ». Un dossier immanquable et nécessaire à lire sur le site de La Croix.
Web
Et sur la toile, alors ? BooKalicious — BookTube de la littérature indépendante — s’enthousiasme pour Low Down : c’est à voir et écouter en suivant ce lien ; on se reportera aussi à l’interview de l’auteure du livre, AJ Albany. Actualitté s’énerve contre les pirates du livre. The Archivists poursuit sa présentation photographique et léchée de bibliothèques de grands lecteurs. Et la rédaction ne résiste pas à faire un focus sur celle de Maria et Jurgen, atypique et fascinante, comme la mise en pratique en version bibliothèque et grand format du livre tel que le rêvait André Breton dans Nadja, une « maison de verre ».