Angela est une jeune femme qui passe sa vie au lit, Angela est une petite fille qui joue avec son chien en peluche, Angela est une youtubeuse qui sourit quand elle fait ses vidéos, Angela est une vieille femme avec des cernes sous les yeux, Angela est bien sûr un Ange qui joue du violon électrique, Angela est un fœtus dans un préservatif transparent, Angela accouche par la bouche de ce fœtus qui est elle-même… Angela est malade, morte, pas encore née.. Angela est présente, absente, elle existe sur les réseaux sociaux, elle disparaît et on la cherche, elle revient et ne s’explique pas.

Au commencement de son nouveau spectacle, Angelica Lidell lance un défi au public. Depuis une liminale parabole biblique, elle annonce que la capacité de pardonner doit être infinie, non comptable. Là où l’apôtre Pierre pensait être généreux en tentant de pardonner sept fois à celui qui lui aurait fait du mal, Jésus propose une démultiplication du possible et Angelica, plus ambitieuse encore, tente avec nous l’expérience du pardon absolu.

À gauche juste avant le Soleil, le théâtre de La Tempête ouvre sa saison sous des auspices pop, dans des déhanchés langoureux et des refrains poético-caustiques de haute volée. C’est l’autrice Emmanuelle Bayamack-Tam, dont la très puissante Arcadie a remporté le prix du livre Inter en 2018, qui lance le bal, au rythme d’un texte décapant, généreux et loufoque dont les protagonistes improbables sont les (déjà) poussiéreuses idoles du star système des années 2000. Sa nouvelle collaboration avec le metteur en scène et directeur de La Tempête, Clément Poirée confirme leurs deux talents.

Magnétique et splendide : tels sont les deux mots qui viennent à l’esprit pour qualifier la nouvelle pièce de Laurent Mauvignier, Proches qui vient de paraître aux Éditions de Minuit. Dès ce 12 septembre, la pièce sera jouée au théâtre de La Colline à Paris dans une mise en scène de Laurent Mauvignier lui-même, une première pour l’auteur.

Depuis qu’il a fait sensation en 2008 avec « Une raclette », le collectif des Chiens de Navarre ne lâche pas le morceau, volontiers sanglant et dégoûtant, qu’il mâche et régurgite à chacun de ses spectacles, pour en éclabousser nos représentations de la famille, de l’amour, de la nation…. En juin 2023, aux Bouffes du Nord, la proposition s’appelle « La vie est une fête » et chacun saisit la dimension à la fois programmatique et parodique d’une telle affirmation.

Anne-Cécile Vandalem raconte des histoires. Avec des personnages, des secrets, des rebondissements, des lieux angoissants. Elle a déjà déployé son univers mi-réaliste mi-fantastique dans Tristesse et Arctique, des fables où affleurent la monstruosité, au croisement du roman policier et du film catastrophe. Le vrai monstre y est souvent l’humain, avec sa folie destructrice et son désir de maîtrise. On y questionne l’urgence climatique et on y fait surgir les pulsions latentes, on y enterre les secrets et on y regarde l’infini.

On parle presque toujours des œuvres que l’on voit, que l’on lit, que l’on écoute, dans une sorte de relation unique avec elles, comme si on vivait dans une « mono-réalité », comme s’il n’y avait d’un coup que le livre, le film, la pièce, et soi, comme suspendus dans le vide, sans même le temps qui passe, ou l’espace.

En 2011, assistant à une mise en scène d’Othello par Ostermeier, à Sceaux, Delphine Edy est frappée par la foudre : « Une soirée inoubliable, un véritable choc esthétique. Le théâtre, ce soir-là, a la force de l’évidence. La vérité de cette dramaturgie crée des ponts entre le monde élisabéthain et le nôtre, se conjugue à la force d’un théâtre en prise avec le présent dont il enregistre les tensions et les ruptures et se veut éminemment politique, en invitant le spectateur à être acteur dans l’histoire, à commencer par la sienne propre ». Dès lors elle ne cesse de suivre le travail du metteur en scène et directeur de la Schaubühne de Berlin et en fait le sujet de sa thèse (Le Réalisme et son double au théâtre. Thomas Ostermeier, mise en scène et recréation).

Ce dimanche 27 novembre, à La Pop, s’est achevé « Titanic, hélas », d’Yves-Noël Genod. Celui-ci y fait ses adieux : « Ce sont mes adieux ! J’espère vous faire pleurer. Je suis en pleine forme mais, depuis quelque temps, plus assez de commandes et surtout pas assez de public pour continuer », dit-il. La cinéaste Vivianne Perelmuter dessine dans ce texte une trace de ce spectacle, de ces adieux.

Tout est énigmatique dans ce nouveau spectacle de Romeo Castellucci, Bros, dont le thème annoncé, « les violences policières », déclenche a priori diverses attentes et inquiétudes dans l’esprit du spectateur averti. Son titre d’abord, en forme d’aboiement, de demi-mot (un demi brother/un faux frère), de signe de reconnaissance entre mâles fiers de leur camaraderie et dont on se demande s’il évoque l’esprit de corps de la police, s’il réfère à une devise de fraternité, s’il est ironique, rythmique, ludique…

Avant que le spectacle commence, le personnage existe déjà, mais à peine, esquissé au creux d’un roman de Joy Sorman. Dans Comme une bête, l’autrice raconte le parcours initiatique d’un apprenti boucher. Au début de l’apprentissage, mention est faite d’une classe de garçons parmi lesquels on compte une fille, une seule à oser envisager ce métier d’homme : salissant, dangereux, éprouvant, au cœur de la chair des bêtes et du paradoxe de nos désirs. Car « nous aimons les animaux et pourtant, nous les mangeons… ». Amour, nourriture, boucherie et sexisme — et si tout cela n’était qu’une affaire de corps, d’incarnation, de théâtre donc ?