« Ce livre est librement inspiré d’une histoire vraie » précise une note liminaire, brouillant immédiatement la ligne entre l’expérience réelle de Harry Parker, autrefois soldat de l’armée britannique, envoyé en opération en Irak et Afghanistan, revenu lourdement blessé, désormais écrivain, et son personnage Tom Barnes, capitaine britannique en mission dans un pays du Moyen Orient, perdant ses deux jambes dans l’explosion d’une bombe lors d’une patrouille nocturne.

Yasmina Reza était célèbre dans le monde entier pour son théâtre, notamment pour sa pièce Art (Prix Tony Award et Molière). Elle le sera désormais pour son roman Babylone qui vient de rafler le prestigieux Prix Renaudot. L’auteure de 57 ans, réputée d’une discrétion de violette, fuyant les photographes et les interviews, avait précédemment fait parler d’elle à l’occasion de la sortie en 2007 de L’aube le soir ou la nuit où elle faisait le récit de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy qu’elle avait suivit pendant un an.

Ce n’est pas un mais deux livres que Fanny Chiarello a proposé à ses lecteurs lors de la rentrée littéraire de septembre : Le zeppelin, aux éditions de l’Olivier et Je respire discrètement par le nez, aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune ; les deux livres forment diptyque quand bien même ils peuvent être lus indépendamment l’un de l’autre.

Certains livres vous invitent dans un univers totalement autre, dès leurs premières lignes : Double nationalité de Nina Yargekov (qui a reçu le prix de Flore la semaine dernière) est de ceux-là. Une jeune femme se retrouve dans un aéroport, elle ne sait plus qui elle est, où elle va, pourquoi elle est là, elle n’a d’abord que le contenu de son sac à main pour mener l’enquête. Mais cette altérité fascinante n’est pas seulement liée au sujet du roman ou à son personnage central : la fantaisie de Nina Yargekov, sa manière de décaper la langue, le récit et plus largement nos repères sont une invitation au voyage, au Nouveau.

L’histoire se répète, comme un disque rayé, à chaque rentrée littéraire : un livre fait sensation, séduit la critique, les libraires et les lecteurs. Cette année, c’est Gaël Faye et son Petit Pays, prix Fnac (remis par Jonathan Franzen) puis prix Cultura, présent sur les premières listes de tous les grands prix d’automne, ou presque, toujours en lice pour quelques-uns d’entre eux dont le Goncourt, articles dans toute la presse, sujet au JT de TF1, droits étrangers vendus à une vingtaine de pays avant même la parution en France, la littérature devenant phénomène…

Peut-être avez-vous entendu parler de ce premier roman d’un jeune écrivain américain au patronyme pas tout à fait inconnu, livre couronné par un Pen/Faulkner Award et traduit en français par Céline Leroy : Parmi les loups et les bandits d’Atticus Lish, paru en cette rentrée littéraire chez Buchet-Chastel.

Emmanuel Adely est un explorateur inlassable des rapports du réel à la fiction, des fictions que le réel construit, de celles que nous échafaudons pour résister à ce même réel, le comprendre ou le combattre. Je paie, paru en cette rentrée littéraire aux éditions Inculte/Dernière marge, est un récit réduit à son expression minimale :

« Ce livre est librement inspiré d’une histoire vraie » précise une note liminaire, brouillant immédiatement la ligne entre l’expérience réelle de Harry Parker, autrefois soldat de l’armée britannique, envoyé en opération en Irak et Afghanistan, revenu lourdement blessé, désormais écrivain, et son personnage Tom Barnes, capitaine britannique en mission dans un pays du Moyen Orient, perdant ses deux jambes dans l’explosion d’une bombe lors d’une patrouille nocturne. « Tom Barnes est fictionnel », tout est devenu « fiction » dans Anatomie d’un soldat, nous répète Harry Parker rencontré à Paris : son livre n’est ni une confession ni des mémoires, obliquement un roman de guerre et surtout le portrait fragmenté d’un homme qui doit se reconstruire, à travers 45 objets qui accompagnent sa vie de soldat puis de grand blessé et enfin d’homme survivant à l’impossible.

Dans un futur proche, en 20XX, deux scientifiques mettent au point une machine révolutionnaire qui permet de revenir dans le passé, sans possibilité pour le témoin d’interférer avec cet advenu. Ainsi sera-t-il peut-être possible de rassembler de nouveaux témoignages sur des événements méconnus de l’Histoire, comme les agissements de l’Unité 731, lors de la seconde guerre mondiale, focale de la novella de Ken Liu, prodige des lettres américaines, auteur de La Ménagerie de papier. « L’Histoire est affaire de narration », déclare l’un des personnages de L’homme qui mit fin à l’histoire ; Ken Liu le démontre de manière magistrale.

En 1992, on s’en souvient sans doute, Jean Echenoz nous propulsait dans l’espace avec Nous trois (Éditions de Minuit) en nous secouant un tantinet au passage. Un quart de siècle plus tard, Christine Montalbetti nous propose à son tour d’aller y faire un petit voyage. N’ayons pas peur, allons-y. On ne sera pas déçu.

Certains romans s’opposent à tout résumé, comme pour mieux afficher leur résistance à l’idée d’un sujet, d’une trame et manifester que leur force est ailleurs, celle de tout grand livre littéraire, une forme, un regard porté sur le monde et les êtres qui le composent. Après l’hiver, Después del invierno, de Guadalupe Nettel est de ceux-là : rares.

Si le regard animal, l’animal que nous regardons et qui nous regarde font depuis toujours partie des préoccupations humaines, ne serait-ce que pour scruter la part animale dans chacun de nous, la visibilité de cette préoccupation a beaucoup augmenté depuis la circulation incessante des images et des informations dans les réseaux mondialisés.

Avec la rentrée littéraire, de nombreux spécialistes en littérature sont sollicités pour donner leur palmarès réduit des romans qu’ils conseillent de lire sur les près de 600 publiés. Sur la 2, le 16 septembre, Pierre Assouline propose trois romans qui ne sont pas ceux dont je vais parler ; ils n’apparaissent pas non plus dans d’autres sélections. La présentatrice demande au critique d’expliquer son scepticisme face aux romans qui choisissent d’évoquer l’actualité : migrants, islamisme, terrorisme. Sa première explication est que ces sujets sont tellement traités par les médias qu’il y a peu de chance qu’ils retiennent l’attention des lecteurs ; la seconde explication est le manque de distance de la part des écrivains et des lecteurs pour parvenir à créer un univers littéraire. C’est pourtant ce type de romans que j’ai choisi parce qu’ils m’ont paru particulièrement intéressants et qu’ils enrichissent nos approches des faits.