4 finalistes pour 1 Goncourt : Gaël Faye, Le Petit pays qui est le sien

Gaël Faye Petit Pays © Christine Marcandier

L’histoire se répète, comme un disque rayé, à chaque rentrée littéraire : un livre fait sensation, séduit la critique, les libraires et les lecteurs. Cette année, c’est Gaël Faye et son Petit Pays, prix Fnac (remis par Jonathan Franzen) puis prix Cultura, présent sur les premières listes de tous les grands prix d’automne, ou presque, toujours en lice pour quelques-uns d’entre eux dont le Goncourt, articles dans toute la presse, sujet au JT de TF1, droits étrangers vendus à une vingtaine de pays avant même la parution en France, la littérature devenant phénomène…
(Suite de la mini-série 4 finalistes pour 1 Goncourt le 3 novembre 2016, après Catherine Cusset et son Autre que l’on adorait et avant Régis Jauffret et Leïla Slimani).

Edit : 17 novembre 2016, Gaël Faye vient de remporter le Prix Goncourt des Lycéens 2016.

Gaël Faye a de quoi à la fois étonner et séduire : son roman est en partie autobiographique, évoquant son enfance au Burundi, son identité indécise, les racines rwandaises de sa mère, les génocides, le départ forcé pour la banlieue parisienne ; l’auteur a été trader à Londres, a tout quitté pour la musique, le rap, a fini par obtenir une certaine reconnaissance, et déjà c’est Petit Pays, titre de l’une des chansons de son album Pili pili sur un croissant au beurre (2013). Il vit au Rwanda, avec femme et enfants. Le 24 août dernier paraissait son premier roman, chez Grasset, avec l’emballement critique déjà évoqué.

Petit pays, le livre, prend ses distances avec la vie vécue : le narrateur est Gabriel (qui demande à être appelé Gaby), souvenirs et imaginaire se mêlent pour dire une histoire annoncée comme impossible dès l’incipit du roman, « Je ne sais vraiment pas comment cette histoire a commencé ». Et tout dans le récit vient dire cette entrave, à commencer par l’impasse dans laquelle vit l’enfant. Gaby est métis, père français, mère exilée du Rwanda voisin qu’elle a dû quitter à l’âge de quatre ans. La vie de Gaby est intimement liée à l’Histoire, qu’il le veuille ou non. Dès le prologue (magnifique), le père tente d’expliquer le conflit à l’enfant, la lutte entre Hutu (« petits avec de gros nez ») et Tutsi (« grands et maigres avec des nez fins »).

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La parabole est belle, destinée à protéger Gaby de la violence des adultes. Mais il faudra partir, quitter le Burundi et ses « fantômes et tas de ruines », comme le dit Ana, s’installer en France, en banlieue parisienne, mener une vie de passage sans oublier tout ce qui a été laissé « sur le seuil de mon pays natal », ces fragments d’un passé qu’une voix adulte tente de rassembler. « Je ne sais pas comment cette histoire finira. Mais je me souviens comment tout a commencé ».

Alors Gaby tente de comprendre comment tout cela a pu advenir, il voudrait, par l’écriture, ressaisir cette vie scindée, l’enfance heureuse en Afrique avec sa sœur Ana et ses copains, ses parents encore mariés et comment la violence, les conflits, d’abord sourds, ont fini par prendre le dessus sur ce bonheur fragile, par révéler failles et fractures. Tous les adultes qui entourent Gaby ont connu une histoire terrible, la mère exilée du Rwanda, Mamie qui vit dans son OCAF de Bujumbura avec des voisins principalement rwandais aussi « qui avaient quitté leur pays pour échapper aux tueries, massacres, guerres, pogroms, épurations, destructions, incendies, mouches tsé-tsé, pillages, apartheids, viols, règlements de comptes et que sais-je encore. Comme Maman et sa famille, ils avaient fui ses problèmes et en avaient rencontré de nouveaux au Burundi — pauvreté, exclusion, quotas, xénophobie, rejet, boucs émissaires, dépression, mal du pays, nostalgie, des problèmes de réfugiés ».

La violence, ce sont d’abord des mots, listés, encore inoffensifs et un peu lointains mais peu à peu l’enfant est rattrapé par la peur et la guerre, un crescendo perceptible dans les lettres que Gaby envoie à Laure, en France. Ni la fable des nez ni la litanie par juxtaposition de ces horreurs passées ne peuvent plus protéger, « il m’arrivait de penser que j’étais moi aussi concerné par ces événements. Mais j’avais peur. Peur de la réaction de Papa s’il me voyait parler de ces histoires-là. Peur parce que je ne voulais pas mettre de pagaille dans mon ordre des choses. Peur parce qu’il s’agissait de la guerre et que, dans mon esprit, ça ne pouvait être que du malheur et de la tristesse ».

La réflexion est naïve, celle d’un gamin qui voit son monde s’écrouler, est mis face à ce qu’il ne peut et ne veut pas comprendre, manière de résister au chaos par l’insouciance : « au milieu de tout ça, je peux vous dire que je me foutais bien du Rwanda, sa royauté, ses vaches, ses mots, ses lunes, son lait, son miel et son hydromel pourri ». Pourtant le pays bascule, même si « depuis le ventre calme de notre maison, tout cela paraissait irréel ». « Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais ».

C’est bien cette appartenance qu’interroge le roman, cette identité multiple dès la naissance, cet exil et refuge en France. On ne peut rompre avec cette double histoire, collective et intime, qui nous construit en partie, que le roman permet de mettre en forme et à distance. Comme l’a écrit Alain Mabanckou dans Le Magazine littéraire en septembre dernier, « Gaël Faye a su évoquer les pages les plus sombres de l’Afrique contemporaine sans verser dans le pathos de certaines œuvres contemporaines sur les Grands Lacs, en particulier le Rwanda. Il ne s’est pas contenté de « rapper » ou de « slamer » sa fiction afin de satisfaire les amateurs de langue « tropicalisée » et, au passage, la soif d’exotisme d’une certaine critique lorsqu’il s’agit d’œuvres ayant pour toile de fond le continent africain ». Une voix singulière est là, indéniablement, malgré les maladresses de tout premier roman, malgré l’énervement que peut provoquer, à son corps défendant, la couverture médiatique disproportionnée du nouveau phénomène littéraire de l’automne.

Gaël Faye, Petit Pays, Grasset, 2016, 224 p., 18 € (12 € 99 en version numérique) — Lire un extrait

Verdict :
Potentiel Goncourt : 20 %
Potentiel littéraire : 40 %
Potentiel sympathie : 100%