Lundi soir, comme beaucoup de Français, je me suis senti veuf et, dans ma brûlante solitude, j’ai versé quelques larmes en voyant la flèche de Notre-Dame s’effondrer. J’étais déjà triste, ce soir-là, parce qu’on commémorait le trentenaire de la mort de Bernard-Marie Koltès et que, bien malgré moi, je n’avais pu me rendre à la grande soirée de remise des Prix Topor 2019 orchestrée par l’inénarrable Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-Point.
Hans Limon
Il est des moments où il faut savoir se taire. Je n’ai jamais su. D’autant moins lorsque les relents d’une polémique nauséabonde viennent me chatouiller les naseaux. Les polémiques sont inventées de toutes pièces, chacun le reconnaîtra en privé. Il faut déjà du temps libre pour écrire ; il faut bien du temps à gâcher pour nourrir une polémique qui ne concerne et n’intéresse que ceux qui la nourrissent.
Ils ont traversé les années-lumière pour venir s’échouer ici, à quelques rêves de chez eux, ici, Proxima b, où la chaleur du Centaure fait bouillonner la roche maintes fois millénaire, au confluent des vents stellaires, vrillants témoins des comètes hallucinées, où l’éclat de la naine rouge fait rosir les plaines désertiques,
Sans doute lit-on peu de ces livres-césures qui, de l’époque et du passé, entendent faire place neuve ou tout du moins en dessiner un destin neuf, au prix de la mort d’une idée et des auteurs. Et sans doute Poéticide de Hans Limon qui vient de paraître aux éditions Quidam appartient-il à cette énergie sans faille. Roman, poème, poème du roman, roman contre la poésie, assassinat de poètes : carrefour et compression génériques, Poéticide ouvre de nombreuses questions sur lesquelles Diacritik est revenu avec son auteur le temps d’un grand entretien.
Depuis ma prime errance, je n’ai cessé de m’inventer frères, sœurs, pères et mères de substitution. Je me suis fourvoyé, jusqu’à me rendre compte que je pouvais être à moi-même, gamin des rues devenu presque aussi grand que le plus grand de mes frères aujourd’hui dispersé par-dessus la grève des adieux sans retour, un parent, un guide, un chemin.
« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. » (Pensée 172B) Pascal, Nietzsche, Marx et bien d’autres l’ont dit, avant comme après, sans avoir été lus ni compris :
Soyons bref et clair, si possible. À quoi sert la culture ? Question mal posée. La culture ne sert à rien (elle n’a pas d’utilité spécifique et n’entre pas dans le processus de production-consommation, comme Arendt l’a facilement montré). Alors, quelle est sa valeur, sa fonction ? Et pourquoi une œuvre d’art, objet par essence inutile, est-elle parfois vendue à des prix si exorbitants ?
6 rue Le Regrattier. Là où Charles Baudelaire logea la « Vénus noire », Jeanne la mulâtresse. Là où mon Poéticide assassine ou plutôt fait sauvagement assassiner le chantre désabusé du spleen et de l’idéal. À trente-trois ans – un âge à se faire crucifier –, me voici donc au seuil d’un nouveau néologisme délictueux, d’une insupportable prétention, en pèlerinage, le front plissé, les points serrés, me demandant ce qui a bien pu se passer entre mes presque six et mes plus de trente-trois ans.
Deux syllabes qui résonnent dans mon crâne comme une cloche fêlée sous un coup de marteau. Une putain de résonance à faire onduler jusqu’aux côtes britanniques la masse verdâtre des vagues sillonnées par les sempiternels ferries.
Battons le rappel derrière les buissons.
Il y a des rencontres qui marquent une vie. D’autres, qui marquent une fiction. Hier soir, j’ai partagé la compagnie de la merveilleuse Eleonore Frey, En route vers Okhotsk, peut-être l’une des écrivaines les plus précieuses de notre temps.
Si Rimbaud s’est mis du vent sous la semelle, comme il est dit, nul doute que ce dernier, je veux dire le vent, s’est de Sonia Ristić fabriqué deux paires à la mesure de ses élans.
Quelque chose comme la copulation d’un romantisme à la Stendhal et d’une sociologie toute balzacienne : rouge-noir, envers-endroit, splendeur-mesquinerie, Sorel-Rastignac. Syrac, donc.
Il s’appelle Hans Limon et je l’ai découvert sur Facebook, un jour au hasard en déroulant le fil d’actualités. Non, c’est pas ça. C’est une amie qui m’en a parlé dans un bus à Toulouse : « Tu connais Hans Limon ? Magnifique, un génie. Tu devrais aimer, c’est ta came. » Le fait est que je ne sais plus comment ça a commencé. Hans Limon. Beau nom. Très beau nom. Un pseudo sûrement. Ben non, même pas.