« Jusqu’à devenir nouilles » : Passer l’année avec Juliette Mézenc (Cahiers de Bassoléa)

ligne de partage des eaux @ Katja Tochtermann

« Répétez-vous “je suis un plat de nouilles” jusqu’à ce que vous deveniez nouilles, des nouilles bien cuites, molles et glissantes, lourdes au fond du lit. » (Cahiers de Bassoléa)

Comment prendre cet objet curieux, mixte, qui renouvèle le genre de l’almanach, même si celui-ci n’a jamais disparu, mais en essayant de lui donner un nouvel élan, un autre champ de force, tout en conservant son esprit populaire ? Autrement dit, comment composer entre forme populaire bon marché et exigence de forme, de contenu, de fabrication, avec tous les contraintes et risques économiques que cela implique ? Comment faire avec les métadonnées, le classement des algorithmes, classement beau livre par les plateformes, classement aléatoire dans les librairies s’il s’y trouve ? Le livre soulève un tas de questions avant qu’on l’ouvre, des questions que je vais abandonner pour l’instant pour me frayer déjà un chemin dans cette année qu’esquisse Juliette Mézenc, dans cette géographie « entre Gerbier et Mézenc, entre Ardèche et Haute-Loire, entre les eaux de l’Atlantique et celles de la Méditerranée ». Et je vais essayer de réexplorer sa genèse, son histoire, qui a d’abord laissé des traces ici même, un premier texte publié en 2018 par Diacritik et paru en livre en 2019 (Des espèces de dissolution : Légende moderne en sept mouvements suivi du Monologue de Bassoléa), c’est-à-dire passer du monologue, sa forme première, aux cahiers, à l’almanach, passer du « je » ou « je multiple » à la polyphonie des voix, dont l’ensemble forme le triptyque du plateau.

Un almanach, ou comme le dit le CNRTL, un « livre populaire publié chaque année et comprenant outre un calendrier, des renseignements astronomiques, météorologiques, scientifiques, pratiques, etc. » permet en soi une grande liberté, puisque pratiquement tout peut y figurer du moment où périodicité et agencement en rubriques sont garantis. Il donne en plus l’occasion de revenir sur le cloisonnement des genres, qui est en général indiqué dès la couverture d’un livre : attention ! poésie, roman, théâtre, entretiens, essai, etc., pour pratiquer ce qui a été courant avant l’arrivée d’un certain classicisme, quand même les bibles pouvaient se terminer par des recettes de cuisine, des conseils pratiques, des généalogies. Cela va de pair avec une certaine polyphonie, là où elle a tendance à disparaître dans l’atomisation des êtres et des choses.

Les cahiers de Bassoléa tentent tout cela, par des contenus et apparitions, amplitudes et densités très variées, allant de « Tableau du jour », « Ciel de jour », « Questions astronomiques », « Contes encore presque bleus », « #MesPlusBeauxSpams », « Phrases assassines », « Newtopies », « Prénoms », « Entretiens », « Trucs et astuces » jusqu’aux cartes géographiques et promenades dans des « Natures semi-sauvages », présentés sous de multiples formes textuelles, iconographiques, coloriées, opaques et semi-transparentes sur papier calque, et puis classées comme un calendrier allant de janvier à décembre, semaine par semaine, dans le rétablissement d’un temps saisonnier, cyclique, une autre forme de résistance contre le temps linéaire des horloges. À côté des pavés en couleurs, beaucoup de lignes s’y trouvent aussi, pas forcément des lignes de partage comme annoncées dans le titre, pour le rappeler peut-être, si ce n’est pas, à l’instar des gribouillis d’enfants également présents dans l’almanach, l’origine de toute écriture, comme Tim Ingold l’a montré dans Une Brève histoire des lignes. Il ne faut pas oublier non plus, mais cela coule presque de source, la porosité entre toutes ces formes, porosité dont Juliette Mézenc a fait un des fils conducteurs de son travail d’observation, d’écriture et de marche jusque dans le titre de son livre Poreuses, qui l’adopte comme programme.

Dès le titre, Bassoléa fait rêver et penser à un nom ou une retraite exotique, d’autant plus que le nom est si bien choisi qu’aucune autre occurrence se trouve dans le WWW, hormis une faute de frappe dans un article. Le patronyme de l’homme politique burkinabè Djibril Bassolé est réécrit : Djibril Bassoléa, orné en plus d’une photo mystérieuse de deux hommes souriants qui ne correspondent à aucun des protagonistes concernés. Quoiqu’il en soit, Bassoléa sonne intriguant, Basso, une voix de basse, une voix grave, une agglomération au Bénin, une forteresse en Italie, reliées à Léa, prénom d’origine hébraïque, dont la signification ne saurait être le féminin de Léo, même si ou parce qu’elle a été la femme du patriarche biblique Jacob et destinée à donner naissance aux douze fondateurs de tribus d’Israël. Dans mon imagination, ce choix de nom laisse ouvert si Bassoléa est un lieu ou un prénom, un autre signe de porosité, dont il a déjà été question. On nous a prévenus, cet almanach est pratique, mais aussi poétique, il faut s’accorder pour l’entendre.

Par le « devenir nouille », citation mise en exergue, je suis entré par la fin, par le mois dans lequel je me trouve, mois de décembre, mois qui, après celui de la mort – Rebel without a cause est écrit sur le « Tableau du jour » de novembre, devrait être celui du repos et aussi du solstice d’hiver, annonciateur de jours qui se rallongent. Un repos « au fond du lit », sous l’énorme plumard qui, pendant mon enfance, m’attendait dès que je quittais la seule pièce chauffée de la maison, la cuisine. Les nouilles sont signe de modestie ou de pauvreté. Raymond Federman parlait du « roman à nouilles » qu’il comptait écrire. Concrètement, cela voulait dire qu’il allait dépenser l’argent qui lui restait en paquets de nouilles et s’enfermer dans son appartement jusqu’à avoir terminé son roman. Cela avait duré neuf mois et avait donné Quitte ou double/Double or nothing, un roman toujours exceptionnel par son contenu, sa forme et sa mise en page, hélas épuisé et plus réédité. Les nouilles accompagnent Federman comme touTEs les survivantEs et bien qu’elles ne soient que de circonstance, son roman pourrait résonner à maints égards avec l’almanach de Juliette Mézenc. Comme chez Federman, les mots sont pour Mézenc une matière physique, une texture : quitte à commettre un anachronisme, la page de nouilles de Federman, pourrait même être la réalisation anticipée de l’injonction de Mézenc que j’ai mise en exergue. Dans le même mois de décembre, on peut lire : « le pauvre nourrit son corps en le diminuant. ». Il le fait même sans avoir été puni à une faim insatiable comme Erysichthon, personnage mythique qui, avec Médée et d’autres, peuple les contes de l’almanach.

Nommer, décrire, se souvenir et se représenter peut passer du doux au grave, « Areilladou, dépression sombre (…) comme point de bascule », de l’inscription sur un pot de yaourt à la mort, comme il y a un plus/moins, un haut et un bas sur la page de nouilles de Federman. Il faut apprendre des enfants, comme le montre Juliette Mézenc dans ses entretiens avec eux. Ses enfants me font penser à France / tour / détour / deux / enfants (1978), autre leçon de leur sagesse, filmée par Godard et Miéville.

Dans l’entretien de décembre, nous trouvons Rania (9 ans). Elle apprend l’arabe, probablement pour changer de sens de direction, devenir ambidextre, comme Seloua Luste Boulbina le prône pour l’existence postcoloniale. C’est-à-dire se débrouiller à la fois avec la langue et les concepts des colons, sans s’y laisser enfermer. Il est vital de s’approprier la langue du colon et, en même temps, de se réapproprier son histoire antérieure, les mythes et concepts antérieurs à la colonisation, les deux mouvements aidant à ne mystifier ni l’un ni l’autre. Rania, derrière cet entretien en apparence anodin, répond à la question, écrite au « tableau du jour » : « littéraire ? » mais aussi à « qu’est-ce écrire ? ». Elle relate une expérience de l’entre-deux, comme le fait en janvier d’une manière différente et plus grave Hélène Saâdia : son nom est constamment écorché, pourtant une identité indélébile lui est assignée. Il n’empêche que l’école veille sur l’orthographe, entendons l’orthographe française, surmoi de tous les élèves français de souche et d’adoption, comme la dictée se révèle pour beaucoup être une chambre de torture. Rania écrit parce que cela « lui fait du bien à ses poignets », mais comment « se faire du bien aux poignets » quand on n’écrit plus avec la main, mais avec les pointes des doigts ? Fait-on comme les autres enfants peut-être, « à cause des tablettes et des PS4 » ? Afin de se libérer de l’emprise du français, elle prend des cours d’arabe le samedi. D’abord parce qu’elle veut comprendre sa grand-mère. Le faisant, elle se réapproprie aussi son histoire, le passé de sa famille. Des études ont pointé que les personnes multilingues atteintes d’Alzheimer oublient d’abord leurs langues secondes. Apprendre l’arabe l’aide donc non seulement à comprendre sa mamie, il paraît indispensable dans un contexte multilingue, où l’on ne sait pas comment et dans quelle langue, les parents vont terminer leur vie.

Pour Mézenc, habiter des langues mène à d’autres topoï, aux newtopies, comme elle appelle cette rubrique, et à une libération sans limites dans « les lumières artificielles et le bruit des basses, qui feront vibrer les murs comme nos corps » et

« la nuit du solstice, le cœur du cœur de la nuit, sera celle de tous les excès, ce sera une débauche de tout, mais une débauche orchestrée, une énergie dépensée en pure perte dans le jeu et la danse, une débauche de lumières surtout, qui seront déclinées, diffractées, conjuguées, nous ferons cette nuit-là une fête à réellement tout casser, tout ce qui empêche, tout ce qui étouffe au dedans et au dehors, et ce tout-cassé nous le brulerons avant la tombée du jour où nous tomberons nous aussi, cassés, exténués, lessivés. »

Le laisser-aller ne dure pas, comme si la « question astronomique » venait gêner toute cette exubérance. C’est se dépenser en pure perte, autrement dit : « pourquoi faire le “tour du monde” alors que la Terre fait chaque jour le tour complet, et nous avec, sans même qu’on ait besoin à sortir du lit », là où nous étions déjà au début du mois ? Si vous n’êtes pas d’accord il vous reste la dernière page du mois pour le noter, faire un dessin ou gribouiller l’incompréhensible, l’indicible, parce que ce qui est dit n’est jamais dit puisqu’on peut le dire autrement d’après Robert Pinget.

À l’image du mois de décembre, on s’aperçoit que l’almanach de Juliette Mézenc fonctionne comme un cube concentré, pour se diluer en fameuse soupe Maggi, dans laquelle, malgré son artifice, nous retrouverons au hasard notre souvenir, la circulation de nos méninges et synapses, qui tels des lignes dans l’almanach se croisent, se déploient, se déroulent, s’enroulent, comme l’écheveau derrière lequel nous avons l’habitude de courir. Pour chaque lectrice ou lecteur le parcours sera différent, partira dans d’autres territoires. Irriguer, c’est ce qu’appelle l’autrice de ses vœux, mais c’est autant la tâche qui nous reste à faire en feuilletant, en lisant, en regardant les couleurs, en sentant les textures, en entendant crisser les pages en cellophane que l’on tourne avant que l’on découvre la géographie du lieu. Nous lisons le nom « Areilladou » avant de le voir inscrit dans la topographie de la carte. Nous poursuivons le travail collectif que Juliette Mézenc revendique pour son travail en général. Elle répond à Cécile Viguier : « Je est plein d’autres, traversé par les autres. Des “je” à faire advenir, exister ou à expulser, éliminer. ». Au-delà du je multiple de la narration, il se matérialise dans l’almanach par autant de pièces rapportées : les tableaux du jour de Cécile Viguier, #MesPlusBeauxSpams de Cécile Portier, des dessins de Liliane Giraudon, des illustrations de Françoise Valéry, des croquis de Natacha Guillaumont, à qui l’almanach est dédié, les photographies de Stéphane Gantelet et d’Emmanuelle Salasc, une conversation avec la traduction des Métamorphoses de Marie Cosnay, les témoignages et gribouillis de toutes les petites personnes avec leurs signatures, et puis les « phrases assassines », entendues par-ci et par-là. Cet enchevêtrement au long cours, ce travail en famille et en tribu sont une invitation à continuer, à prolonger l’almanach ou à recommencer, car il n’y aura pas d’autre en 2023, et il n’y en aura pas besoin, tant que celui-ci continue à voyager.

Alors, revenons au début, ce texte inédit en 2018, qui devient par la suite Le monologue de Bassoléa, et fait partie du triptyque du plateau. Elle y pose justement la question de savoir ce qui mérite d’être écrit (mais aussi d’être lu) ou figurer dans un roman au sujet d’une vache morte

« gonflée comme une énorme baudruche, couchée sur le flanc, mais si gonflée que ses quatre pattes étaient en l’air, largement écartées (…) c’est le genre de truc qu’on trouverait jamais dans un roman, un bon roman, un romancier ne mettrait jamais une vache morte sur le chemin d’un personnage qui passe le plus clair de son temps à observer des corps morts et ceci au moment même où il cherche à prendre un peu l’air, jamais, après je me suis dit que c’était peut-être une sculpture contemporaine, je me suis approchée prudemment, mais c’était bien une vache morte (…) ».

Contrairement à ce que Jacques Rancière avait écrit dans Politiques de la littérature, la noblesse des sujets et des éléments romanesques semble se poser toujours et n’a pas trouvé sa fin au XIXe siècle. Car, et je reviens à Raymond Federman, lui aussi s’interroge dans un passage de Chut, lu à haute voix ici : pourquoi existe-t-il des romans sur l’enfance sans qu’il n’y soit jamais question de masturbation, ou qu’elle doit rester métaphorique, ainsi qu’on ne trouve jamais rien sur combien de feuilles de PQ il faut pour se torcher le cul pendant un mois. Comme un écho, lors d’une « ballade sauvage » dans l’almanach, le mois de Juin, on peut lire :

« vous pisserez face au Mézenc et pour une fois vous n’envierez pas les garçons
ainsi déculottée
le sexe et les fesses au vent de l’est »

Dans l’entretien avec Cécile Viguier, Mézenc évoque le fou rire de Déméter, lorsque sa servante Baubo lui a montré son sexe en levant ses jupes, y voyant le seul moyen pour que Déméter se ressaisisse. L’almanach confirme : « Bien sûr il y a le sexe. (…) Mais tout le monde sait ça, inutile de s’étendre. »

Pour éviter l’enfermement, Federman invente la « surfiction », manière de se poser des questions sur l’usage et l’usure des mots, les formulations de phrases, s’observer lui-même à écrire et à effacer et à réécrire, ou à laisser ce qu’il semble raté. On peut en trouver un tas d’exemples, en dehors de tout ce qui est consacré aux nouilles, dans Quitte ou double/Double or nothing:

« Ils sont debout sur le pont supérieur c’est trop simple — et en plus je n’aime pas le prénom Marry — avec un « r » ou deux « r » — c’est pas assez. Faut que ce soit plus accrocheur. Plus comme elle. Plus Américain. Plus typique. Est-ce que cela pourrait être Peggy ? Peggy c’est pas mal. Il n’avait jamais entendu un nom comme celui-là avant. Comment l’épelez-vous ? demanda-t-il. P E deux G Y. C’est facile à retenir. Avec Peggy. Une blonde bien roulée. Avec des yeux bleu clair. Et un cul bien roulé. Ils se sont rencontrés au début de la traversée. Le premier jour quand le bateau S.S. Marine Jumper a quitté Le Havre. Elle était sur le pont supérieur près de lui ses cheveux dans le vent. Quelque chose comme ça. »

Le roman déborde de partout, les choses sont posées et défaites à la fois, il n’empêche que cela avance sans prendre une ligne droite, sans se soucier où en venir. Federman avait proposé à son éditeur de ne pas numéroter les pages, sans succès. La décomposition de la page a été le maximum acceptable. L’almanach de Juliette Mézenc marche dans ces pas. « L’entre-genres », comme elle l’appelle, est une possibilité supplémentaire de décloisonnement. Est-ce se tenir sur la frontière, comme le suggère Jean-Philippe Cazier, je ne saurais pas le dire, il y a quelque chose qui se dérobe. Toujours à Cécile Viguier, elle dit :

« Ce que je fais serait une sorte de « prose libre » que, je crois, je tiens d’Hélène Bessette, et qui n’est ni vraiment de la prose, ni vraiment de la poésie en vers. Le silence, le blanc sont pour moi comme de nouveaux points d’appui. »

Dans l’almanach, cela se trouve matérialisé sur la page. Dans le projet collectif « étant donnée » mené par Cécile Portier, avec la participation entre autres, de Juliette Mézenc, cette tentative a été transposée, dispersée dans l’espace physique, la scène, l’installation, et l’espace virtuel, un site désormais hors ligne (ci-dessous une capture de mes archives). D’autres projets avec Stéphane Gantelet reprennent cette voie.

archives Martin Rass

Dans l’entretien ci-dessus, Juliette Mézenc pointe aussi les problèmes de la polyphonie, une sorte de morcèlement, de dislocation qu’elle expérimente avec le « il » dans Des espèces de dissolutions. Une explosion a été déjà envisagée pour la vache, morte, intérieurement rongée par des microbes, et dont l’enveloppe est devenue si fragile, au point de se désagréger complètement. Par contre, l’almanach adopte dès sa préface presque une ambiance apaisée, du moins en surface. L’almanach semble loin de poursuivre l’énervement, l’ébullition et la révolte dans le monologue qui le précède. Cependant triptyque veut bien dire aussi que tout va ensemble, est imbriqué, indissociable. L’almanach n’est donc pas la synthèse, la Aufhebung, qu’on demande aux lycéenNEs françaisES dans leur dissertation philosophique.

J’ai évoqué au début les difficultés que peut rencontrer un tel objet livresque depuis sa conception jusqu’à la diffusion. Il est d’autant plus indispensable de louer l’Édition de l’Attente pour de telles initiatives qui, pour les mêmes raisons, se font de plus en plus rares, et risquent davantage l’invisibilité dans un secteur sursaturé et habitué aux cases. Des éditeurs courageux comme Al Dante – je les évoque pour avoir publié entre autres Raymond Federman, ont payé le prix fort pour leur audace, alors souhaitons une longue vie aux Éditions de l’Attente.

Pour rester dans l’économie, ou la finance, que la rubrique « #MesPlusBeauxSpams » de l’almanach détourne et moque, en consultant mes mails, j’ai trouvé ce spam étonnant d’un nommé Leon Walter. Comme si c’était le frère de Léa. L’origine hébraïque de son nom, où Lea’h signifiait à la fois « fatigué » et le féminin de Léo, le lion, nous avait laissé pourtant dans le doute, une raison de plus pour ne pas accepter cette lecture. Si, à l’instar du couple Léa-Léo, les femmes peuvent être fatiguées de ce que les hommes leur infligent tandis qu’eux-mêmes se fatiguent à rendre le monde invivable, c’est une raison de plus pour s’énerver face à tant d’énergie gaspillée, tant d’inutilité, tant de destruction, tant d’oubli du dehors et du dedans, comme l’écrit Juliette Mézenc. Le spam en est le symbole, mais aussi la matière et le contour de ce monde, et inéluctablement la représentation dont nous devons nous défaire. Le carottage, dont parle Juliette Mézenc dans la préface de l’almanach, me fait passer du plateau à notre mur extérieur, le trou indispensable pour le tirage du feu du bois, qui tantôt fait arriver l’air froid, tantôt permet de respirer. L’almanach a encore d’autres solutions à proposer, pratiques et poétiques, au mois de Mars, guerre ou paix :

« Pas assez d’oxygène ? Le remède est simple. Il s’agit de rétablir l’équilibre nécessaire à la vie. Pour cela, remplacez sans attendre les vivants qui émettent du dioxyde de carbone par des vivants qui rejettent de l’oxygène. Il suffira par exemple que des humains, en nombre suffisant, se transforment en plantes. »

Comment faire? Consultez l’almanach et ignorez le spam à moins qu’il soit signé Cécile Portier.

Juliette Mézenc, Les cahiers de Bassoléa : almanach pratique et poétique sur la ligne de partage des eaux, Éditions de l’Attente, 2022, 163 p., 35 € — En savoir plus et lire un extrait 
Juliette Mézenc, Des espèces de dissolutions : Légende moderne en sept mouvements suivi du Monologue de Bassoléa, Éditions de l’Attente, 2019, 159 p., 16 €