Petit précis d’histoire-géographie approximative (1) : Joseph-Edgar Davout

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En ces temps de réécriture(s) permanente(s) de l’histoire, à l’ère des fake-news, de la post-vérité et des exubérances érigées en nouvelle doxa bolloréenne, il convient de remettre sinon l’église 2.0 au milieu du village numérique du moins un peu de fantaisie dans le morose. Fort de son savoir d’autodidacte diplômé, Boris-Hubert Loyer vous propose un petit précis d’histoire-géo pour les pas trop nuls qui sauront séparer le vrai grain du faux livresque. En ouverture de cette nouvelle rubrique qui ne fera pas date : Joseph-Edgar Davout.

Moins connu que son aïeul Louis-Nicolas qui a donné son nom à un boulevard parisien, Joseph-Edgar Davout a eu une vie beaucoup moins riche que son ancêtre putatif qui a été affectueusement surnommé « la bête de Hambourg » pendant ses séjours dans un hôtel germanique où il avait ses habitudes et « le Maréchal de fer » quand il se briquait le sabre après une longue journée de bataille. Le Davout du boulevard éponyme a surtout pu s’enorgueillir d’être demeuré invaincu tout au long de sa carrière ce qui lui a conféré une aura historique que n’aura jamais aucun tennisman français sur le circuit international, hexagone compris.

S’il a eu une enfance plutôt tranquille, Joseph-Edgar a tout de même connu les affres d’avoir un patronyme propice aux calembours, bien aidé en cela par des géniteurs qui n’avaient pas pensé au futur du nourrisson en l’affublant ainsi. Bien avant l’avènement des « Monsieur, Madame…», à l’instar des époux Vorme qui avaient prénommé leurs trois fils Jésus, Hans, Hubert, les parents Davout n’ont pas loupé leur entrée dans la liste mondiale des précurseurs anonymes. Durant les premiers temps de sa jeune vie, Joseph-Edgar s’est ouvert au monde entre un père aimant (surtout l’alcool) et une mère à la tendresse indéfectible envers un poupon joufflu et occasionnellement braillard devenu en grandissant et successivement un pré-ado moyen, un jeune homme lambda et un adulte insignifiant. Rien ne le prédestinait à de grandes choses : né dans un village d’où nulle célébrité n’est jamais sortie pour enrichir les pages de Wikipedia, Joseph-Edgar a suivi un cursus scolaire classique avant d’être appelé sous les drapeaux. Pour ceux qui n’ont pas eu le bonheur de vivre cette expérience humaine unique, le service militaire est feue cette période obligatoire pendant laquelle des « supérieurs » parlaient à des gens comme vous et moi en affectant un ton moins martial mais plus respectueux qu’un responsable politique enjoignant ses militants de huer les journalistes venus couvrir son meeting avant de pérorer sur la francité de souche et le renvoi dans leur pays des réfugiés fuyant une dictature sanguinaire et souvent la mort.

C’est au service militaire que la difficulté de s’appeler Joseph-Edgar Davout s’est révélée insurmontable : dès les premiers temps des « classes », le jeune Davout subit mille tourments parce qu’il répond par un tonitruant « présent ! » lorsqu’un gradé entre dans une pièce ou ordonne à ses troupes de se figer dans la position de l’oignon dans son rang. Les classes, c’était ce temps consacré à la formation de jeunes hommes tous habillés pareil et par l’État dans des uniformes de couleur morve très pratiques pour courir incognito dans la forêt sans trop se faire remarquer d’un ennemi potentiel ou d’un chasseur du dimanche qui confondrait le treillis réglementaire avec le pelage d’un sanglier ou la banane d’un joggeur. Les classes, c’était cette période de douze mois pendant laquelle on apprenait à des « appelés » à obéir à des injonctions moyennement variées de faire en avant marche, à droite droite et demi-tour droite pour revenir à la caserne ; tirer au fusil mitrailleur sur des cibles en carton imitant mollement de féroces soldats entendus dans nos campagnes ; et, une fois l’an de fouler au pas cadencé la plus belle avenue du monde en chantant La Marseillaise plutôt que Give Peace A Chance.

Oublié des livres d’histoire, qui n’ont retenu que Louis-Nicolas pour d’obscures raisons hausmaniennes, Joseph-Edgar Davout est l’inventeur d’un théorème qui ne porte même pas son nom. À faire pâlir Thales, Pythagore et Peter, le principe de Davout a démontré bien avant l’avènement du greenwashing et l’invention de la batterie au lithium, que le QI de l’automobiliste périphérique est strictement proportionnel à la quantité de carburant embarquée dans son véhicule. Cette démonstration prouve, entre autres choses, que si l’on place un homme ou une femme derrière un volant au milieu d’autres hommes et d’autres femmes dans ce qu’on appelle par convention une file de voitures, son cerveau devient totalement hermétique à son environnement et refuse toute stimulation qui lui demanderait au mieux de réfléchir et au pire de reconnaître que non, ça ne sert à rien d’avancer au feu rouge pour se retrouver au milieu du carrefour en bloquant la circulation aux véhicules qui arrivent de droite et de gauche au cours de la migration quotidienne de contribuables qui n’ont pas le bonheur de vivre de leurs rentes ou d’être politologue sportif sur CNews.

⌈ Il faut au passage évoquer le fait que le principe de Davout peut être rapproché de l’axiome dit de Twitter qui veut que plus une info est susceptible d’interprétation, la somme des conneries racontées en moins de 280 caractères est équivalente au carré de la somme des infos réelles multipliée par le nombre clics potentiels et le nombre de minutes qui lui sont consacrées sur le plateau de TPMP. ⌋

Même si tout le monde s’en fout, le principe de Davout a pourtant montré toute sa pertinence à l’occasion des grèves des raffineurs d’octobre 2022 quand l’essence et le gazole ont commencé à se faire rares quelques jours à peine avant l’ouverture du Mondial de l’automobile. Attisant la crainte du manque de carburant jusqu’à la psychose nationale, les télévisions ont tartiné pendant des heures sur le sort des malheureux automobilistes en panne sèche, sur la majorité des travailleurs sur la réserve à la merci d’une minorité d’autres travailleurs, sur la peur de ne pas pouvoir se rendre au bureau, à l’usine, au supermarché ou en week-end. Fort heureusement, dans l’attente du prochain fait divers et de son lot de suppositions, on a pu assister à des scènes que les chaînes d’informations en rupture d’illustration photogénique du conflit ukrainien ont pu diffuser en boucle mettant ainsi fin à une pénurie d’images préjudiciable pour des journalistes pris en otages.

La postérité n’a jamais (et pour cause) entendu parler de Joseph-Edgar Davout qui s’est éteint à l’insu de tous sans jamais avoir livré de citation digne d’être reprise hors de tout contexte pour clore une conversation qui part en sucette ou de photo grotesque pouvant donner lieu à un mème panurgien. Tout au plus peut-on citer un pigiste télévisuel dépêché à la hâte aux abords d’une station-service prise d’assaut :  » sur les Maréchaux, la situation empire. »

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