Zoom sur Joyce Carol Oates

Joyce Carol Oates © Christine Marcandier

Évidemment, on ne présente plus Joyce Carol Oates, tant son œuvre est présente et déterminante dans le paysage littéraire contemporain. Que peut faire la ou le critique face à cette œuvre pléthorique et d’une telle ampleur ? S’agit-il de dire quelques mots de tel ou tel livre, d’en signaler la sortie au moyen des phrases habituelles empruntées à la rhétorique du marketing et de la com ?

Ce n’est évidemment pas la voie choisie par Christine Marcandier qui, depuis la création de Diacritik, suit, livre après livre, l’œuvre de Joyce Carol Oates pour en dresser un portrait, en tracer les lignes évidentes mais surtout souterraines, récurrentes, celles qui résonnent et s’amplifient au fur et à mesure. La critique est ainsi un exercice au long cours de réflexion, de cartographie, de création, d’accompagnement amoureux.

Joyce Carol Oates © Christine Marcandier

Au sujet de son essai sur la boxe, texte autant sportif que dramatique et ontologique, il s’agit de rappeler comment l’auteure peut faire résonner des thèmes en reliant transversalement et de manière surprenante des dimensions hétérogènes, populaires et savantes.

Dans Sacrifice, on retrouve cette intelligence des liens au service d’une réflexion qui associe, là encore, le plus commun (le fait divers) et le plus abstrait (la réflexion sur le réel), à l’intérieur d’un point de vue critique et politique sur l’Amérique, son chaos, sa violence, son rapport au monde et le monde impliqué par ce rapport.

Avec Mudwoman, Joyce Carol Oates persiste, bien sûr, dans sa volonté d’interroger les USA, d’en faire un problème et non une évidence, de questionner, et donc de mettre au jour, les multiples liens qui produisent de l’étouffement, de l’aliénation, de la violence – en particulier, ici, pour les femmes, la femme qui est le personnage principal du roman, et pour laquelle se posent à nouveau les questions les plus quotidiennes comme les plus profondes.

C’est à nouveau la violence subie par une femme qui est problématisée dans J’ai réussi à rester en vie, violence d’un autre ordre cependant, puisque c’est celle qui est liée à la mort subie, la mort du mari du l’auteure, et qui transforme âprement, douloureusement, son rapport à soi, aux autres, au monde. Comment survivre à cette violence et que faire, comment ne pas simplement la subir ? A nouveau, le réel le plus quotidien, le plus banal et commun, s’associe aux mouvements profonds d’un événement qui déborde toutes les limites et évidences : à l’occasion du cas le plus singulier, le plus subjectif et intime, le monde voit ses dimensions s’entrechoquer, s’écrouler, se mouvoir selon des rapports erratiques – et, de nouveau, on s’interroge : que faire ?

C’est ce chaos du monde qui est central dans Blonde, chaos qui brasse indistinctement le plus singulier et le plus universel, le plus trivial et le plus tragique, et qui chaotise également la littérature, ses genres, ses évidences, ses pouvoirs. La politique y rejoint la tragédie grecque, l’Amérique contemporaine y est scrutée, évaluée, saccagée.

La même logique ample informe Paysage perdu, livre qui est un « palimpseste (…) et un kaléidoscope, formant un autoportrait éclaté, double, celui d’une femme, celui d’une romancière, entre réel et mise en fiction ».

Cette volonté de produire une écriture à la hauteur du chaos du monde s’exprime dès le titre du recueil « d’histoires mystérieuses » intitulé, justement, Dé mem brer : exploration des violences faites aux femmes – toujours le problème de la violence et ses résonances plurielles : psychologiques, sociales, politiques, ontologiques… –, mais aussi déploiement de subjectivités radicales autant que défaites, trouées, dispersées, errantes, à l’image de notre monde et des déchirures ou lambeaux de sens qui le traversent.

Joyce Carol Oates © Christine Marcandier

Le 14 octobre prochain paraît La Nuit. Le Sommeil. La Mort. Les Étoiles aux éditions Philippe Rey dans une traduction de Claude Seban, l’occasion de poursuivre la saga JCO dans Diacritik.