Amoureux de la poésie, Jean-François Guillon déploie la polysémie des mots dans le champ des arts plastiques et du spectacle vivant. Ses performances sont des partitions visuelles comme l’annonce le titre de l’une d’entre elles : « Tout dire du rien, rien dire du tout ».
Célébrons la réouverture prochaine des lieux d’expositions pour aller découvrir, au Centre Culturel Jean Cocteau, Ville des Lilas, une exposition de groupe « NOIRBLANC – Le pouvoir des mots ». Onze artistes, dont Jean-François Guillon, jouent avec les mots comme objet d’une réflexion, à la fois poétique, plastique et politique.
Comment te présenterais-tu ?
Je dirais que je fais de la poésie visuelle comme il y a de la poésie sonore. La poésie fait attention à l’expressivité de la forme ; j’utilise des mots, des lettres, des signes, dont j’agence la forme dans l’espace.
Comment présenter ton œuvre ?
Mon travail se situe à mi-chemin entre la poésie et la signalétique. Je porte une attention aux signes et aux mots que je dessine, photographie, dispose dans l’espace ; ça peut être une sculpture dans l’espace de la ville, un dessin dans l’espace de la feuille, ou des signes cadrés dans des photos. Je pratique également la performance, en me jouant du texte et du langage, et collabore régulièrement avec l’acteur et metteur en scène Didier Galas en tant que scénographe.
Ta première rencontre avec l’art contemporain ?
Mes premiers souvenirs, à partir de l’âge de 10 ans, sont liés à la musique contemporaine car mon père m’emmenait à des concerts de Stockhausen, de Xenakis… ; cela m’a familiarisé avec une certaine avant-garde dont je ne percevais pas la spécificité. Ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé ma chance ! L’art contemporain, je l’ai découvert pendant ma période de formation aux Beaux-Arts de Paris, notamment grâce aux cours de Jean-François Chevrier qui m’a fait découvrir Marcel Broodthaers, Sigmar Polke, les génériques de Godard… La découverte de l’œuvre de Broodthaers à l’occasion de la rétrospective du Musée du Jeu de Paume en 1991 a été décisive à mes débuts.

Tes plus grands chocs esthétiques ?
Adolescent, j’ai découvert avec des camarades de lycée, le Grand Jeu, un groupe littéraire post-surréaliste composé de René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland, et leurs pratiques spirituelles expérimentales m’ont fasciné. Ils ont opéré comme un modèle pour les jeunes poètes débutants que nous étions. Plus tard, dans les années 90, le poète Christophe Tarkos a fait une performance dans mon atelier : l’intensité et l’humour de ses propositions poétiques, en partie improvisées, m’ont fortement marqué. Cela a certainement joué dans mon désir d’aller vers la performance.
Un des derniers chocs récents tient à la découverte du travail de Guy de Cointet et de ses performances, avec ces constructions d’histoires, de personnages juste à partir de quelques lettres apposées au mur.
L’artiste disparu.e que tu aurais aimé connaître ?
J’aurais aimé discuter avec Robert Filliou dont j’adore la pensée libre qui nourrit son travail et ses recherches sur les principes d’économie poétique.
Un.e artiste contemporain que tu aimerais rencontrer ?
Kenneth Goldsmith, pour sa façon de travailler le texte, révolutionnaire et libératrice ; sa théorie de l’Uncreative Writing traduit en français par François Bon, par « L’écriture sans écriture », m’enthousiasme et m’inspire.

Ton musée préféré ?
J’aime bien les musées documentaires, comme le Musée de l’Homme qui n’existe plus. J’ai retrouvé cet esprit dans une exposition au Mucem dédiée à Georges Henri Rivière, l’inventeur du Musée des Arts et Traditions populaires, avec des dispositifs de monstration en vitrines, rapprochant objets d’arts et objets vernaculaires.
La musique qui t’émeut le plus ?
J’adore les minimalistes américains, Terry Riley, Steve Reich et particulièrement Morton Feldman dont la musique composée de superpositions imperceptibles de sons m’a ému au concert. Dans le même registre, j’ai assisté, à plusieurs performances de Charlemagne Palestine, notamment à l’Abbaye de Noirlac, pour le Festival « les Futurs de l’Écrit », une musique extrêmement simple et dépouillée, qui réussit à atteindre la transe avec quelques notes répétées.
Quel.le auteur.e a pu inspirer ton œuvre ?
Raymond Roussel, m’a marqué comme Goldsmith pour l‘invention du processus créatif. Ainsi que les membres de l’Oulipo et, tout particulièrement, Georges Perec qui fait preuve d’une invention géniale dans ses protocoles d’écriture. L’extension des possibilités d’écriture à partir de pas grand-chose est jubilatoire dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien par exemple !
Quel événement t’a marqué ces derniers temps ?
Difficile de ne pas répondre la pandémie, qui pose tellement de questions, qui donne envie de réagir pour pas subir. On a assisté récemment à la perte du sens entre le vrai et le faux, on a vu l’usage inquiétant et abject des fake News par un personnage comme Trump. Je ne pensais pas un jour connaître un état du monde aussi proche de celui imaginé par Orwell dans 1984, c’est inquiétant !
Quelle utopie, quel espoir pour demain ?
Un monde qui, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, soit pensé, conçu et vécu par les hommes du point de vue du vivant. Une utopie qui relève de l’écologie.
« Tout dire du rien », performance (extrait), Le cercle chromatique, Beaux-arts de Paris, 2019
Pour « NOIRBLANC – Le pouvoir des mots », le commissaire Luca Avanzini a réuni les œuvres de Maja Bajevic, Raphaël Denis, Jean-François Guillon, Emilio Isgrò, Barbara Kruger, Maria Lai, Lucie Picandet, Ernest Pignon-Ernest, Julien Prévieux, Emmanuel Régent, Jacques Villeglé.
L’exposition sera suivie, le 17 juin, d’une installation – présentée dans l’espace urbain et particulièrement dans le Parc George Gay (Square Anglemont) aux Lilas – intitulée « Les mots habités » qui est née d’un travail d’écriture mené par Jean-François Guillon avec les habitants de la ville.
