Les chemins de la haine: dans l’espace européen, personne ne vous entend crier

A Peterborough, dans l’est de l’Angleterre, un homme est en fuite dans une nuit boueuse, terrorisé par des poursuivants qui n’en sont pas à leur première exaction.
Avec Les Chemins de la haine, Eva Dolan signe un premier roman policier teinté de chronique sociale brute dans une Angleterre en plein Brexit qui cherche un chemin vers son humanité.

Avec une écriture sèche, presque clinique, Eva Dolan tutoie la fiction télévisée britannique, de Broadchurch à The Bill, en passant par Happy Valley. Nuls artifices dans cette peinture d’une petite ville où les grues et les chantiers envahissent le paysage et constituent le seul horizon d’ouvriers sous payés. Eva Dolan fait de Peterborough une ville mirage, avec sa lande périphérique, ses quartiers qui se vident ou se transforment à l’aune d’un ascenseur social qui descend plus vite qu’il ne monte. Et la prose froide permet de visualiser, d’éprouver la misère et le chaos inévitables.

Une petite ville, ses pubs, ses trafics, sa délinquance ordinaire, un poste de police qui possède une unité spécialisée dans les crimes de haine : il faut dire que la crise n’a pas fait que passer par Peterborough. Elle s’y est installée. Le miracle n’a pas duré, laissant ceux qui aspiraient à une vie meilleure à leur sort peu enviable de déplacés économiques : jeunes filles de l’Est devenues serveuses dans les bars par facilité et se prostituant par obligation, travailleurs de force indiens, chinois, portugais, estoniens… la liste des nationalités est longue comme une directive européenne et celle des affameurs, employeurs sans scrupules ou modèles économiques légaux profitant de l’effet d’aubaine induit par des flux migratoires non moins vaste.

Les chemins de la haine est un polar nerveux au pays du flegme, une enquête au cœur d’une ville dans laquelle le brassage culturel et ethnique est à la fois la solution et le problème. Pour son premier roman, Eva Dolan ose beaucoup : les migrants, la crise, l’emploi temporaire et les marchands de sommeil, l’exploitation jusqu’à l’esclavage, une enquête menée par un policier d’origine polonaise, assisté d’une inspectrice aux racines portugaises…
L’inspecteur Zigic doit enquêter chez les Barlow, couple ordinaire d’Anglais communs. L’incendie de leur abri de jardin est assurément et doublement criminel : le corps d’un homme est retrouvé calciné à l’intérieur, a priori celui d’un immigré estonien qui squattait là depuis des jours contre leur gré. Les Barlow sont les premiers suspects, leur version des faits est trop nette, trop accordée. Leur réaction face aux questions des enquêteurs n’en fait pas pour autant des coupables mais Zigic doute évidemment de leur sincérité. Ce qui pouvait sembler un simple drame de voisinage met dès lors en évidence une réalité autrement plus complexe : la police suit les chemins que ces immigrés, légaux ou clandestins, ont emprunté en quête de jours meilleurs. Pour ne rencontrer à l’arrivée que l’esclavagisme moderne sans ticket de retour.

Avançant par ellipses et non-dits, Les Chemins de la haine est loin d’être une uchronie à la P.D. James et encore plus éloigné du quotidien feutré d’une Miss Marple ou de la bourgeoisie ouatée dans laquelle baigne un Hercule Poirot, c’est une plongée dans la réalité crue contemporaine. En filigrane, Eva Dolan pointe les conséquences d’un monde globalisé et donne matière à réfléchir sous couvert d’une littérature de genre : elle relève et révèle les peurs et les errements d’une époque, la nôtre.

Eva Dolan, Les chemins de la haine (Long Way Home), traduit de l’anglais par Lise Garond, éd. Liana Levi, 480 p., 22 € (16 € 99 en version numérique) — Télécharger un extrait en pdf