Les revues-magazines en diffusion papier fleurissent ici et là. Ainsi le veut un renouvellement souhaitable du marché journalistique. Un bel exemple nous en est donné avec Médor, qui regroupe de jeunes journalistes, est édité à Bruxelles en mode trimestriel et s’adresse en priorité au public francophone de Belgique.
Médor a commencé par une singulière mésaventure : il a été censuré par la justice avant même de paraître. C’est que l’équipe éditoriale avait publié sur son site l’extrait d’une enquête à paraître dans la première livraison. Et la firme pharmaceutique wallonne Mithra, qui produit des médicaments et appareils gynécologiques, de s’apercevoir, à la lumière dudit extrait, qu’elle était durement mise en cause (elle a profité de subventions plus que substantielles de la Région wallonne et sa stratégie financière est loin d’être transparente) et de déposer plainte.
Premier jugement : Médor n’est pas autorisé à paraître s’il contient cet article. L’affaire — un fait de censure caractérisé et brutal — fait grand bruit. Aussitôt recours déposé par la revue et il est entendu. Deuxième jugement avec un autre magistrat (plus jeune !) : la revue peut sortir et va se vendre très bien. Nous n’épiloguerons pas sur l’affaire Mithra, sur l’enquête fouillée qu’elle a suscité dans le magazine et qui est signée d’une excellente plume, celle de David Leloup. Il en ressort tout de même que, lorsque les pouvoirs publics subventionnent un groupe industriel et prennent des parts dans son capital, il faut à ces pouvoirs une vigilance extrême pour ne pas être roulé dans la farine, et ce d’autant plus que la firme en cause se diversifie dans des filiales, noue des ententes avec des firmes étrangères, entre en Bourse comme c’est le cas de Mithra.
Mais présentons plus largement ce Médor bien conçu et mordant à souhait. Dans ses pages, on l’a deviné, le journalisme d’investigation occupe la première place. Ce qui suppose de la part des collaborateurs travail approfondi et révélations. Ainsi, en effet, de l’article Mithra ou d’une autre enquête sur des personnages discutables et liés aux partis politiques opérant dans le domaine de la gestion des chemins de fer belges. Mais, dans cette livraison du magazine, le travail d’enquête ne porte pas à tout coup sur des malversations. Ici on trouvera un récit étonnant sur l’immigration méconnue qui s’est produite de la Flandre agricole vers la Wallonie industrielle au début du XXe siècle et sur les traces qu’elle a laissées : que de Wallons sont d’origine flamande ! Plus loin, une narration conçue dans l’esprit de l’inoubliable et télévisuel Strip-tease relate l’histoire d’Albert qui a toujours vécu avec les siens dans des campings — wallons encore.
Et puis la revue développe toute une conception de ses tâches. Ainsi l’équipe de Médor, dans sa déclaration liminaire, entend pratiquer un journalisme « pétri à la main ». Il « implique de se remettre à l’enquête, de contourner les machines de guerre que sont devenues les services de communication, et d’investir notre territoire, la Belgique ». Programme sympathique et apparemment rempli dans cette première livraison. De plus et ce n’est pas peu, les rédacteurs entendent questionner et adapter leur outil informatique. « Le graphisme de Médor, soulignent-ils, a été entièrement réalisé avec des logiciels libres (programmes qu’on peut utiliser et modifier librement), ici une technologie qui sert habituellement à composer des pages sur Internet (le HTML et le CSS) ». Et d’insister sur une volonté d’échapper de la sorte à la monotonie des logiciels standardisés tout en avertissant que le « bidouillage » mis en œuvre n’ira pas sans quelques approximations graphiques.
Illustré abondamment mais de façon quelque peu confuse, Médor doit encore se trouver une ligne, car il ne suffit pas d’aboyer quand passe la caravane des abus et excès en tout genre. On risque également de lui reprocher de se vendre au prix d’un livre (17 €) mais, avec ses 130 pages, il est et vaut un livre. De plus, c’est aussi le prix à payer pour une entreprise de presse citoyenne et coopérative singulièrement vaillante et bien pensée. Fonce, Médor !
Médor, trimestriel belge d’enquêtes et de récits, 1er novembre 2015. Prochaine livraison à la mi-mars — Retrouvez Médor sur Facebook