Troisième métamorphose (ou incarnation) attilesque, l’aventure ouverte en 2014 avec une nouvelle maison d’édition, le Nouvel Attila et un catalogue déjà impressionnant, en littérature française comme étrangère, romans graphiques et autres varia et plusieurs collections (Incipit, Calques, Othello, etc.) qui témoignent d’une curiosité sans borne ou frontières de genre. Pour ce second volet de notre grand entretien (et cette troisième incarnation), Benoît Virot revient pour Diacritik sur l’année 2014, celle de la création et mise en orbite du Nouvel Attila.
Et puis il y a la troisième période, ouverte en 2014. Sous le coup des rencontres des auteurs français et d’un certain nombre de manuscrits exceptionnels qui vraiment m’ont pris par la manche, il y a cette envie d’un ancrage plus contemporain, plus français, plus jeune, marqué par la collection « Incipit », qui représente un certain tournant, puisqu’en 2014, pour la première fois de l’histoire de la maison, on n’a publié que des auteurs vivants.
Alors ça fait rigoler quand je le signale comme une victoire sur soi-même mais c’est vraiment une petite révolution à l’échelle de la trajectoire attilesque. C’est un travail très différent, c’est beaucoup plus prenant et chronophage, puisque par définition, les auteurs vivants on est là pour être avec eux, à leur écoute, quasi en permanence. Moi je me définis un peu comme un père, comme un frère, un entraîneur, en gros. Un éditeur, pour reprendre la définition de José Corti, ce n’est pas seulement celui qui paie le restaurant, c’est aussi celui qui peut être réveillé à toute heure du jour et de la nuit pour répondre à un souci sur la place de la virgule ou la taille du chapitre III.
Il y a vraiment un travail réciproque sur le texte, c’est un échange de confiance absolument criant, ce moment où l’auteur prend confiance et conscience de son talent, confiance grâce à nos conseils, aussi exigeants et critiques soient-ils, et puis il y a un retour de confiance réciproque quand on voit la maison d’édition en train de se construire par la somme des histoires et des rencontres individuelles, le plaisir étant redoublé par le fait que, chaque fois, le travail est différent, dans la forme et dans le fond.
Pour mémoire, les trois premiers romans contemporains que je publie au Nouvel Attila sont Aujourd’hui l’abîme (de Jérôme Baccelli, mars 2014), qui mêle l’histoire de l’art à des intrigues de spéculation boursière ; Debout payé de Gauz (août 2014), cette fresque de l’immigration vue à travers un vigile de supermarché et Ariane dans le labyrinthe de Philippe Bollondi qui est une réécriture plus que contemporaine du mythe du Minotaure à l’heure des spin doctors, ces effroyables conseillers en communication.
Et finalement, à part ce prisme contemporain on a trois types d’écriture absolument spécifiques et éloignés les uns des autres : le lyrisme de Bolondi, l’aphorisme poétique de Baccelli et Gauz qui est dans une concision absolue, une narration noire, caustique. Chacun présente un univers. Et du coup, c’est très volontiers qu’on s’embarque dans cette aventure et qu’on souhaite qu’elle se multiplie.
Et il y a toutes mes années de chasseur de textes, même si maintenant c’est rentré dans mon ADN, donc je passe mon temps à ouvrir mes yeux, mes doigts, mes oreilles à toutes sortes d’auteurs oubliés que ce soit dans les librairies, dans les bibliothèques, sur Internet, en parlant avec mes amis libraires ou traducteurs… c’est comme une pelote de fil, j’ai un plaisir infini, quand j’entends le nom de William Sansom, à aller traquer une généalogie pour savoir ce qui se cache derrière. Je ne sais pas si on est un archéologue, un spéléologue ou un détective privé, mais ça c’est devenu un réflexe.
Et puis il y a cette seconde chasse aux manuscrits et une nouvelle ère qui s’ouvre que les camarades de Finitude et de L’Arbre vengeur ont entrepris avec succès, que les camarades plus jeunes de La Dernière goutte ou de La Contre-Allée font merveilleusement, mais si on compte dans cette jeune génération d’éditeurs, finalement on n’est pas si nombreux à avoir tenté cet équilibre et ce pari.
C’est un pari dont je dis en riant qu’il est vital, parce que la veille du jour où je devais envoyer le service de presse d’Aujourd’hui l’abîme aux journalistes, je me suis dit que je ne pouvais pas me contenter de l’argumentaire commercial que j’avais donné à mes représ mais qu’il fallait rédiger un petit prière d’insérer spécial. C’était quand même la naissance de la maison.
Et donc, en pleine nuit d’insomnie, je me suis relevé, j’ai écrit mon texte, plié en une heure, une demie heure ou un quart d’heure, je ne sais pas. J’ai trouvé des arguments qui étaient censés pourfendre la mauvaise conscience et provoquer quelque chose, un sentiment. Et mon équipe a lu le texte le lendemain matin et ils m’ont dit « mais Benoît, c’est vraiment le message que tu veux faire passer ? on dirait que quand tu publies des auteurs vivants tu risques ta vie ».
Et j’ai répondu, « c’est exactement le message que je voulais transmettre ».
D’ailleurs tu envoies des mails la nuit aussi…
Oui, mais ça c’est un programme que j’ai créé pour faire croire que je ne dormais pas parce que je me suis dit que dans ce métier c’était toujours bien d’avoir l’air de travailler beaucoup, de dormir peu et de se plaindre de ne pas pouvoir lire…
A suivre, dans notre édition de 16 heures
La première partie de cet entretien est à retrouver ici.