On associe souvent le sud au bleu du ciel. Ou inversement. Le bleu qui règne à Marseille est totalitaire, d’une effroyable dureté, sans concession. Le sud est souvent un fantasme. Y vivre, c’est autre chose. Tu retrouvais en Picardie ce que tu avais voulu fuir et tu prenais conscience que tu aimais les ciels de traîne, la lumière rare mais somptueuse, le givre sur les vitres le matin.

Gabriel savait être pénible. Il avait harcelé V., ma compagne de l’époque, pour qu’elle lui offre cette hache en bois. Elle avait cédé. Sitôt l’objet convoité obtenu, il s’en était bien sûr désintéressé. Un jour, trainant, morose, dans sa chambre vide, j’avais posé cette arme factice sur son oreiller rouge, comme un objet liturgique les jours de procession.

Ce qui frappe avant tout à la maison de retraite, c’est l’odeur : un curieux mélange d’asepsie et de flétrissure. Pourtant, le lieu est presque neuf, d’une irréprochable propreté, le personnel est gentil, disponible, à l’écoute. Gabriel et toi êtes toujours bien accueillis. Ta mère a une chambre individuelle, assez vaste, au rez-de-chaussée, avec salle de bain attenante.

Fuir l’appartement déserté était une de nos priorités. Le samedi ou le dimanche, nous roulions. Toujours un peu vers les mêmes destinations : soif d’espace, de petit dépaysement, d’air. Dans la nature, libre de ses gestes, le corps content, Gabriel semblait épanoui et heureux (il l’est d’ailleurs toujours, maintenant, dans de telles circonstances).

Tu es né et tu as grandi à Amiens. C’est une ville sans charme, assez laide, une ville de la « reconstruction » (60% du centre a été détruit durant la seconde guerre mondiale), connue seulement pour sa cathédrale et pour la tour construite par Auguste Péret dans les années 50. Les séquelles de la guerre sont toujours présentes.