Au Musée Rodin, il y a comme une chambre d’amis pour les œuvres de Camille Claudel. Dans cette chambre, il y a un portrait d’enfant, un portrait de petite fille plus exactement, connu sous le nom de « La petite châtelaine ». Ce buste en marbre a l’intensité d’un instantané photographique. « Le buste de ‘La petite châtelaine’, à lui seul, recueille ce que l’enfance a de plus déchirant. On lit sur ce visage une innocence qui pressent qu’elle sera trahie et rassemble ses forces avant de recevoir le coup fatal », écrit Christian Bobin à son propos. Je n’ai pas, comme lui, ce culte de l’innocence mais sa remarque me semble juste et vraie : ce petit buste, par son aura, crée le vide autour de lui, bloc d’énergie et de vulnérabilité mêlées. Je ne voulais pas que le visage de mon fils ressemble à celui de La petite châtelaine…
Un dimanche gris et froid, visitant avec lui le musée de Picardie, à Amiens, j’ai été troublé par cet autre buste ; le trouble venait de la similitude de mon émotion ce jour-là et de l’émotion ressentie devant le marbre du musée Rodin… Et pourtant cette œuvre n’avait pas l’intensité dramatique de celle de Claudel. Certes, il y avait aussi une immense tristesse dans ce regard-là, dans cette expression, cette posture (j’aimais la douce inclinaison de la tête) mais aussi une sorte de confiance calme, de détermination. J’avais également photographié la sculpture de Camille Claudel mais c’est celle-ci que j’ai retenue. Comme un vœu pour l’avenir.