Gabriel savait être pénible. Il avait harcelé V., ma compagne de l’époque, pour qu’elle lui offre cette hache en bois. Elle avait cédé. Sitôt l’objet convoité obtenu, il s’en était bien sûr désintéressé. Un jour, trainant, morose, dans sa chambre vide, j’avais posé cette arme factice sur son oreiller rouge, comme un objet liturgique les jours de procession. Lien coupé, objet tranchant (mais « pour de faux »), écrin du souvenir, souveraineté du manque : on peut continuer ainsi, enfiler les perles, filer la métaphore. On aura raison. Mais une image est sans fond et aucun texte ne saurait la circonscrire ; tout au plus une rêverie peut-elle s’y greffer, l’accompagner. Un jour, lors d’une lecture de portfolio, mon interlocuteur s’arrêta sur cette image et me questionna. Je résumais brièvement les conditions de son élaboration ; il me servit alors un lapidaire : « vous avez un rapport très étrange à l’enfance ! ». Le silence qui suivit cherchait seulement à contourner la trop grande spontanéité de ma réponse qui aurait pu se résumer à : « Connard ! ». Je suis dramatiquement « bien élevé », c’est ma principale faiblesse.
Gabriel, Laurent Deglicourt (Le voyage minuscule 12/22)
