Matthieu Ricard : Close Up 15 (Entretien)

Vue aérienne des Andes, Santiago du Chili et Mendoza, 2014 © Matthieu Ricard

Emerveillement et compassion animent sa pratique magnanime, infusent à la fois ses écrits et ses expositions. Le moine bouddhiste Matthieu Ricard vit dans l’Himalaya depuis 1972, où il réalise des photographies de ses maîtres spirituels et de paysages grandioses. Il décrit ainsi la splendeur de la vie sur terre qu’il assortit parfois de citations empreintes de spiritualité.

Ses images très classiques misent sur une forme de séduction pour amener le spectateur à considérer la planète avec bienveillance et respect. Plus de 150 de ses œuvres sont exposées sur le Toit de la Grande Arche de la Défense, jusqu’à la fin novembre. Auteur reconnu, ses ouvrages sont traduits dans plus de 23 langues. Dans l’ouvrage collectif Quand la mort éclaire la vie, se croisent des réflexions sur la mort issues de différentes disciplines (philosophie, psychologie, science) pour réinstruire le sens de la vie.

Comment êtes-vous devenu photographe ?

J’ai commencé à prendre des photos vers l’âge de douze ans. Je photographiais des flaques d’eau et des reflets de lumière. On disait : « Ne comptez pas sur Matthieu pour les photos de famille. » Je fus guidé par mon ami André Fatras, l’un des pionniers de la photographie animalière en France. Je photographiais principalement la nature.

Quel enjeu motive votre démarche photographique ?

J’utilise la photographie comme une source d’espoir, dans l’intention de restaurer la confiance dans la nature humaine et de raviver l’émerveillement devant la part sauvage du monde. Après m’être établi dans l’Himalaya, je photographiais mes maîtres spirituels et leur univers. Je souhaitais partager la splendeur, la force et la profondeur dont j’étais témoin.

Quel type d’images votre œuvre donne-t-elle à voir ?

Une photographie réussie est une image que l’on ne se lasse pas de contempler et qui procure un sentiment d’élévation. Les images de violence et de souffrance sont nécessaires pour éveiller les consciences et inspirer notre détermination à intervenir, à aider, à remédier aux injustices. Mais nous ne devrions jamais perdre de vue le potentiel de bonté présent en chaque être. Il importe de maintenir un juste équilibre pour éviter de tomber dans le « syndrome du mauvais monde » qui nous convainc que l’être humain est foncièrement mauvais. En vérité, nous avons tous au plus profond de nous, à la manière d’une pépite d’or, un potentiel de bonté, de sagesse et d’éveil.

Votre plus grand défi photographique ?

Il arrive que j’hésite à prendre des photos, en présence d’un maître spirituel notamment. Je préfère profiter pleinement de sa présence que de jouer au reporter. Toutefois, si les circonstances s’y prêtent, je fais quelques images, le plus discrètement possible, dans le but de partager avec d’autres la beauté spirituelle dont j’ai été témoin.

Laquelle de vos photos vous a donné le plus de joie ?

Un portrait de mon premier maître spirituel Kangyuor Rinpoché qui m’évoque avec force sa présence, une présence qui inspire chaque instant de mon existence.

Kangyuor Rinpoché © Matthieu Ricard

Quelle photo a été la plus douloureuse à faire ?

J’ai pour amis plusieurs reporters de guerre et ai constaté à quel point ils ont été marqués au plus profond de leur être par ce dont ils ont été témoins. Je n’ai jamais fait une image douloureuse.

Qu’est-ce que la lumière pour vous ?

La lumière c’est ce qui fait chanter une image. Danielle Föllmi, avec qui j’ai fait Himalaya Bouddhiste (avec Olivier Föllmi), m’a dit un jour que je « peignais avec la lumière », un beau compliment.

Quels ont été vos plus grands chocs esthétiques ?

La beauté intérieure de mes maîtres spirituels, la découverte en haut d’un col à près de 5000 mètres d’altitude, au Tibet occidental, du Lac Manasarovar et du Mont Kailash, les chutes d’Aldeyjarfoss, entourées de colonnes de basalte en Islande.

Votre musée préféré ?

Le musée infini de la nature sauvage. L’Himalaya, le haut plateau tibétain, les couleurs et la lumière étonnantes de l’Islande, les peintures tibétaines traditionnelles que j’ai photographiées par milliers. Je ne vais guère dans les musées habituels …

La musique qui vous émeut le plus ?

La chaconne de la deuxième partita pour violon de Jean-Sébastien Bach.

Quels artistes ont pu inspirer votre œuvre ?

Dans le domaine de la peinture : William Turner, Caspar David Friedrich pour les paysages, et Vermeer pour les portraits, avec tout le respect que je leur dois. Dans le domaine de la photographie : le livre visionnaire La Création de Ernst Haas.

Quel événement vous a le plus marqué ces derniers temps ?

Les données scientifiques qui montrent qu’il n’y a plus un moment à perdre pour prévenir une grave crise environnementale. Les gouvernants n’ont pas le droit de trahir les générations futures.

Quelle utopie pour demain ?

La révolution altruiste, pour aujourd’hui si possible. Ce n’est d’ailleurs pas une utopie, mais la seule réponse pragmatique aux défis du XXIe siècle, pour remédier à la pauvreté au sein de la richesse, pour mener à une société plus harmonieuse et solidaire et pour avoir davantage de considération pour le sort des générations futures et des 8 millions d’autres espèces qui sont nos concitoyens sur la planète.

Chutes d’Aldeyjarfoss © Matthieu Ricard

« Hymne à la beauté », exposition de Matthieu Ricard jusqu’au 30 novembre, Espace Grande Arche, 1 Parvis de la Défense, 92400 Puteaux (tous les jours de 10H à 18H30).

Quand la mort éclaire la vie, Christophe André, Caroline Lesire, Steven Laureys, Ilios Kotsou, Matthieu Ricard, Christophe Fauré, éditions L’Iconoclaste, octobre 2022, 257 p., 21 €