Juger une série sur la foi du premier épisode est un exercice périlleux. En découvrant une nouvelle production, on risque les bonnes comme les mauvaises surprises, de désillusions perdues en temps gagné à faire autre chose que de s’avachir devant un spectacle dispensable. Il arrive aussi que la frontière entre le bon et le moyen soit fine au point que si l’on ne passe pas un mauvais moment, on n’exulte pas pour autant, quand bien même le show runner s’appellerait Julian Fellowes, scénariste de Gosford Park, créateur de Downton Abbey et Belgravia.
Le premier épisode de The Gilded Age vient d’arriver sur OCS suivant la diffusion mondiale (à raison d’un épisode chaque semaine) et auréolé de la caution fellowesienne. New York, 1882, le XXe siècle point à l’horizon et avec lui les grands changements en marche, entre expansion économique, industrialisation à marche forcée, croissance exponentielle des villes, des richesses et des aspirations de toutes sortes. À l’angle de la (pas encore mythique) 5ème Avenue et de la 61ème rue (soit à deux blocks de la Trump Tower un siècle plus tard, NDLR) des déménageurs s’affairent tandis que la caméra opère un mouvement de déjà-vu en pénétrant dans la demeure des Russell, suivant un personnage, puis un second, virevoltant d’une pièce à une autre, d’une nuque à une coiffe ou un chapeau, des pieds des protagonistes aux lustres aux plafonds dans de longs mouvements qui à la fois s’attardent sur des détails et veulent embrasser l’ensemble.

La technique à l’œuvre dans ce premier épisode est plus qu’une manière de faire, c’est une signature : l’exposition, la mise en place du cadre, la présentation des personnages de second ou de premier plan est le fruit d’une mise en scène (trop) soignée et la reconstitution des rues, des bâtiments, plonge d’emblée le spectateur au coeur de Manhattan et de l’action à venir à grand renfort de fond vert et de reconstitution numérique. Présenté comme le Downton Abbey du Nouveau Monde, The Gilded Age se distingue de son aînée par son rythme rapide et saccadé et par une musique qui hésite entre western et marche militaire. Du côté de l’intrigue, on découvre avec « Never the new » (Jamais les nouveaux) le déploiement peu subtil d’une histoire faite d’ambitions contrariées et de destins malmenés, de batailles pour l’émancipation face au poids des traditions, de nouveaux riches et de grandes familles qui ont reçu la respectabilité en héritage.

Dès l’ouverture, quand la jeune Marian Brook ruinée est contrainte de venir vivre chez ses tantes Agnes et Ada, membres de la haute société new-yorkaise, on comprend que la question de l’atavisme (familial, communautaire, social) sera au centre de The Gilded Age — tout en étant très (trop ?) prévisible. Il est donc rapidement établi que diverses oppositions serviront de fil conducteur : la jeune génération contre l’ancienne, les nouvelles fortunes contre les descendants historiques des pèlerins originels, la volonté d’échapper aux statuts et aux castes auxquels beaucoup sont assignés. Si le premier épisode est centré sur la personne de Bertha Russel impatiente jusqu’à l’obsession d’intégrer la haute société parce qu’elle vient d’emménager près de Central Park et que son mari est un banquier aux affaires florissantes, on pressent que la trame se (dé)multipliera avec les personnes de Marian, Peggy, Larry, Oscar vivant à l’ombre de leurs parents et aînés portant les noms d’Astor, Chamberlain, Adams, van Rhijn…

On souhaite que la suite soit un plus sobre pour délivrer romance, glamour et antagonismes divers à même de brosser de beaux portraits de classes et les conflits inévitables à l’heure de la confrontation entre le monde d’avant et celui qui vient. Malgré un pitch appelé et une réalisation clinquante, The Gilded Age s’annonce donc (à l’image de son propos) comme la série des possibles.

The Gilded Age, de Michael Engler et Salli Richardson-Whitfield, créé par Julian Fellowes. Avec dans les rôles principaux : Morgan Spector, Louisa Jacobson, Denée Benton, Carrie Coon, Christine Baranski, Cynthia Nixon, Jeanne Tripplehorn.
Produit par HBO, diffusé en France en US+24 sur OCS à partir du 25 janvier 2022. Un épisode par semaine, le deuxième ce soir, mardi 1er février.