Effets secondaires : le coronavirus rend con

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L’épidémie de Covid-19 a des conséquences inattendues sur ma personne. En parfait hypocondriaque ayant tendance à la nosophobie, j’ai plus d’une fois cru que j’avais l’intégralité des symptômes de la maladie – à l’exception de la fièvre, d’une toux persistante, de la perte de goût et d’odorat, de maux de tête et de difficulté à respirer. Mais ce n’est pas le plus grave. Au cours de mes nombreuses recherches en épidémiologie domestique entre deux prises de température rectale, j’ai constaté que si la pandémie de Covid-19 avait d’abord remplacé ma colère par une sidération compréhensible, elle m’a rendu plus grossier qu’à l’ordinaire et mené vers cette conclusion sans appel : le coronavirus rend con.

S’il n’y avait que moi, ce ne serait pas un problème : on peut mener une existence tout à fait ordinaire avec le QI d’un caillou, on peut même faire carrière sur Cnews ou briguer l’investiture chez Les républicains. L’ennui, c’est que beaucoup sont touchés par cet effet très indésirable : membres du gouvernement, ministres, présidents, médecins médiatiques, éditorialistes, invités chroniques n’ayant aucune compétence sur les sujets sur lesquels ils sont incités à donner leur avis en direct, pseudo-gourous rassuristes, vendeurs d’alarmisme au porte-à-porte, présentateurs vedettes indignés professionnels passés maîtres dans l’art du populisme bistrotier… la liste des imbéciles très heureux de gloser en plateau (et de ceux qui les écoutent) s’est allongée sur un rythme à rendre jaloux les virus répliquants et les variants de souches, tant leur taux de reproduction atteint des sommets qui ne tiendraient pas sur les diaporamas bigarrés du ministre de la santé…

Depuis l’apparition de la maladie du pangolin qui aurait bouffé de la chauve-souris avant de se faire boulotter par un gourmet asiatique et ainsi prouver une fois pour toute que zoonose n’est pas qu’un concept théorique et un mot qui peut rapporter 48 points au Scrabble, on en apprend tous les jours sur ce virus qui se propage aussi vite que les mensonges et les sophismes aux heures de grande écoute. À bien regarder les affreux du Rassemblement National qui profitent de la crise et des médias pour déverser leur bile excluante sur tous les micros qu’on leur tend au mépris des règles sanitaires en vigueur ; en écoutant les loulous de la France Insoumise qui ne sont jamais les derniers pour rivaliser de bêtise avec le gastéropode commun, une poule dans une fabrique de briquets ou un ex-journaliste sportif reconverti dans l’outrance professionnelle ; en zappant chaque soir sur les chaînes d’infos où les fâcheux, les polémistes appointés et les experts médicaux auto-nommés alternativement rassurants ou pessimistes discutaient les préconisations gouvernementales et commentaient la parole des ministres choisis dans une majorité de carton ; en échangeant sur Internet avec l’électeur moyen qui à l’instar du concurrent de Koh Lanta vote davantage contre le candidat avec lequel il a « le moins d’affinités » que pour celui dont il partage les idées ; en observant le monde et l’époque, en lisant, en me questionnant, en tentant d’analyser autant la forme que le fond, j’en arrivais toujours à la conclusion cruelle que le coronavirus rend désespérément con.

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Quand j’ai ressenti les premières manifestations de mon abêtissement, mon cerveau avait déjà été touché dans des proportions inimaginables : je me suis mis à croire ce que le gouvernement racontait dans les médias : « les masques ne servent à rien » ; « ce n’est qu’une « grippette sans gravité », « il n’y a pas lieu de s’inquiéter, le virus qui sévit en Chine ne viendra jamais jusqu’à nous ». Début février 2020, je me suis même surpris à boire les paroles du professeur Didier Raoult qui expliquait à BFMTV qu’il n’y avait « pas de raison d’avoir peur » de ce virus, qu’il qualifiait de « pas si méchant ». C’est ainsi que je suis mis à regarder les JT de 13h et 20h, pour écouter la vox dei des consultants et experts ès qualités. J’ai même programmé ma télévision de sorte de ne manquer aucune conférence de presse quotidienne de Jérôme Salomon. Tous les jours au plus fort du marasme, j’ai guetté l’imminence d’un nouvel épisode de la série gouvernementale avec la même fébrilité que lorsque j’étais accro à Friends. Et pour cause : à chaque jour sa punchline, à chaque nouvel épisode sa scène mythique : « le port du masque en population générale n’est pas utile » (rires), « nous allons augmenter notre capacité de test » (rires)… Le tout dans un décor d’open-space ultra tendance avec des Power-Point anxiogènes bariolés et des graphiques de couleur rouge psychose à côté desquels le canapé du Central Perk ressemble à une baudruche de Jeff Koons.

Le Covid-19 rend con et c’est désormais prouvé scientifiquement : parce qu’on a toutes et tous passé une licence de biochimie et un doctorat d’infectiologie sur Internet et BFMTV, on croit (ou pas) à la « transmission aéroportée réversible » du « virus dont l’apparence des virions sous un microscope électronique avec une frange de grandes projections bulbeuses évoquent une couronne solaire ». Il rend tellement con que Michel Onfray lui-même est convaincu qu’il y en avait eu 18 autres avant lui. Tout à sa colère permanente, le philosophe-journaliste-essayiste-patron de site internet a dû lire chez un de ses lecteurs-contributeurs qu’on numérote les affections pandémiques comme les chefs produits d’Apple répertorient les iPhones. Au passage, comment en vouloir à Michel Onfray ? Sans chercher bien loin, je suis sûr qu’on arriverait très vite à trouver un lien entre la marque à la pomme et la future norme GSM de ses smartphones hors de prix.

5G ou pas, erreur humaine, transmission entre un pangolin malais et un nugget de chiroptère ou non, le Covid a essaimé la connerie dans nombre de bouches. Les journaux télévisés et les réseaux sociaux, les chaînes d’infos se sont fait les rapporteurs d’énormités successivement ou alternativement édifiantes ou complètement absurdes. On a ainsi convoqué presque quotidiennement des sommités jusque-là inconnues du grand public, tel le pape de l’hydroxychloroquine et sauveur putatif du monde, quand le bon sens aurait commandé de passer sous silence les élucubrations digitales de ce pépé éprouvette.

Sur les plateaux de télé, on a même observé un phénomène de transmission incontrôlée du virus par capillarité qui a rendu plus ineptes les uns que les autres les raisonnements et commentaires autour de « ce que l’on sait ». Avant de convenir que l’on ne savait pas. La crise sanitaire a été le prétexte à des sorties, saillies et jugements de valeurs sur la fainéantise légendaire des professeurs des écoles, sur le réchauffement climatique dénoncé par les hystéro-intégristes, sur les féministes dont la place est à la maison à gérer leur charge mentale, sur les moutons bêlants qui acceptent de mettre un masque et d’être confinés alors que merde, ça va bien cinq minutes les injonctions sanitaires, il faut bien que les Français aillent bosser, on ne peut pas mettre un pays à l’arrêt comme ça, sinon qui va nous acheter nos espaces publicitaires à diffuser entre deux réparties racistes télévisées ?

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Mais le plus grave reste tout de même que le Coronavirus a eu raison d’une partie de mon vocabulaire. En proie à ce vide long, je ressens toujours les signes de 2020 combinés à des symptômes très présents encore autour de la fin 2021 : j’accroche sur le début des mots comme « sérénité » ou « optimisme » ; je me surprends à ne plus dire « tiens, j’irais bien en week-end à Pretoria la semaine prochaine » ; je dis plus « à demain » à mon collègue anti-vaccin qui considère un jour sur deux que le virus est une punition divine et un jour sur deux une invention des puissants pour nous asservir un peu plus ; mon historique Internet se réduit à des recherches « vaccin Covid à proximité », « masque chirurgical bio » ou « abri antiatomique à monter soi-même ».

Enfin, signe que je suis devenu définitivement très con, depuis que l’actualité est accaparée par les propos des cuistres et que le débat public se gangrène un peu plus chaque jour à force de surenchère raciste et d’électoralisme à la remorque, je ne peux plus utiliser les mots « confiance » et « avenir » dans la même phrase.