À moins d’avoir passé ces dernières semaines dans un ashram coupé du monde pour vous extraire des contingences matérielles ou échapper aux sondages politico-médiatiques qui donnent aux cuistres une importance suspecte, vous avez assurément assisté à la déferlante Squid Game. Dans le cas contraire, retour sur la série du moment de la plateforme tentaculaire.
Pour résumer le pitch de Squid Game, une phrase suffit : « à Séoul de nos jours, un groupe d’individus sans lien apparent participe à une série d’épreuves dont seul un concurrent peut prétendre gagner une récompense mirifique, plus de 45 milliards de wons (près de 32 millions d’Euros) ». Vêtus de joggings verdâtres floqués d’un numéro, ces anonymes tous motivés par la perspective de gagner un pactole qui les sauvera de la misère sont réunis par un mystérieux maître du jeu flanqué de gardiens armés mutiques.

Dit ainsi, la création de Hwang Dong-hyeok, réalisateur de quatre longs-métrages et passé au streaming pour Netflix, pourrait ressembler à une copie flashy et urbaine de Survivor si les règles du jeu n’étaient pas aussi extrêmes. Squid Game met en scène des jeux de cours de récré aux prémices plutôt anodins et l’on mesure très vite le fossé entre le fair-play des joutes enfantines et l’issue cruelle et invariablement fatale de chaque épreuve. Car la réalité est que sur les 456 participants, il n’en restera qu’un. Au sens propre du terme.
Jouer comporte des risques
Dans Squid Game, le sort réservé aux perdants est donc sans appel. Pour espérer guigner la fortune, les concurrents n’ont qu’une seule issue : survivre. En mettant en scène un groupe aux origines et motivations diverses forcé de coexister et concourir jusqu’à ce que mort s’ensuive, Squid Game rappelle évidemment Battle Royale ou Alice in Borderland (sur Netflix). Mais la comparaison avec ces films ou série dites « drama de survie » ne tient pas la distance : là où les lycéens de Battle Royale et les gamers dilettantes d’Alice étaient contraints et forcés de s’affronter dans des joutes dignes de Fortnite, les joueurs de Squid Game ont en commun d’être tous (ou presque) volontaires pour tenter de remporter le lot ultime quoi qu’il leur en coûte, y compris leur vie.

Dès les premiers épisodes d’exposition où l’on découvre progressivement les destins des un.e.s et des autres et les raisons qui les poussent à participer à ce jeu de la mort (dont ils ne savent rien au début) et le premier jeu (Un, deux, trois, soleil) aux allures de feria balistique, Squid Game fascine par son esthétique colorée et terrifie par sa cruauté psychologique. Rassemblés tels des prisonniers ou des sujets d’une expérience de Milgram, les participants montent et descendent l’échelle entière des sentiments humains, des plus louables aux plus condamnables : l’entraide, la compassion, la naïveté, la rouerie, le mensonge, l’égoïsme, la cruauté… jusqu’à se faire eux-mêmes les instruments de la mort.

Alors qu’un rythme lancinant se met en place, porté par l’enfantine petite musique signature du générique, que la série avance dans l’horreur et bascule parfois dans le gore, la psychologie des personnages devient l’épicentre de Squid Game : jusqu’où peut-on aller pour survivre ? Que reste-t-il de notre humanité quand on doit choisir entre son prochain et sa propre existence ? Quand dans un sursaut, par instinct de survie, la plupart des participants décident d’arrêter le jeu, force est de constater que le choix des joueurs de cesser le massacre ne sera que de courte durée. Plus que la vénalité qui l’emporte sur le reste et au détriment de toute valeur, c’est la critique d’un certain désespoir, voire d’une société entière qui est au coeur de Squid Game… En cela, on peut aller chercher du côté de Parasite de Bong Joon Ho et voir dans Squid Game un condensé des peurs de la société coréenne : l’endettement, la réussite au compte-goutte, le fossé séparant les instruits des couches populaires, l’isolement, la misère et les maigres perspectives de s’en sortir.
Jouer tue
Mais derrière la machinerie visuelle réussie, le suspense glacé et un jeu d’acteurs très maîtrisé (les personnages ont des caractéristiques clairement identifiables), Squid Game souffre de manichéisme et de quelques faiblesses narratives à l’image des sous-intrigues presque inutiles sur le devenir du corps des perdants ou sur la révélation de l’identité du Maître de Cérémonie ; jusqu’à cette séquence où des spectateurs VIP occidentaux venus satisfaire leurs bas instincts de voyeurisme barbare en assistant en privilégiés à ces jeux du cirque entre indigents désespérés.

Au final, on ne retiendra que la proposition faite par Squid Game : attirer, captiver à partir d’un spectacle qui dérange et un sous-texte social non moins troublant comme le firent en leur temps Le Prix du danger ou Rollerball sur les dérives du spectacle morbide. On ne peut dénier la force visuelle de la série qui emprunte aux codes du jeu vidéo et de la télévision pour produire une expérience de visionnage fascinante. En revanche, la résolution de l’énigme et la conclusion laissent le spectateur sur sa faim : le commanditaire démasqué comme la morale sauve assénée à la pelleteuse qui veut que l’argent ne fait pas le bonheur font sans doute de Squid Game une série phénomène pour de mauvaises raisons.
Squid Game, de Hwang Dong-hyeok, diffusé sur Netflix, 9 épisodes.