Seth Bogart – Boys Who Don’t Wanna Be Boys

Dans Boys Who Don’t Wanna Be Boys, l’artiste visuel et musicien Seth Bogart aborde le poids de l’homophobie et de l’hétérosexisme sur le psychisme et la vie des personnes gays mais aussi, sans doute, au sein de la communauté gay elle-même qui n’est pas exempte de masculinité toxique.

Dans ce titre, Seth Bogart traite du « garçon efféminé », le « sissy boy », qui doit s’efforcer de combattre ce qu’il est pour ne pas être moqué, dévalorisé, rejeté par non seulement les hétéros cis habituels mais aussi par d’autres gays soumis aux impératifs et codes hétérosexistes de la masculinité (« To avoid the laughter from people like you »).

Le titre n’est pas consensuel, opposant de manière binaire et facile les gays et les hétéros, mais questionne les préjugés et représentations toxiques qui structurent les psychés hétéros autant que gays : interrogeons-nous sur nous-mêmes et problématisons ce que nous pensons et faisons au lieu de simplement – et avec raison – questionner la communauté hétéro fondamentalement hétérosexiste et homophobe. Le titre en appelle à la conscience de ce qui réunit la communauté gay mais aussi la communauté humaine en général afin de construire une communauté effective et positivement combattante (« We’re all fighting from the bottom »).

Plus spécifiquement, ce titre de Seth Bogart aborde la stigmatisation de la « passivité » dans la relation homosexuelle (« passivité » qui, d’ailleurs, n’a pas de lien nécessaire avec une manière d’être « efféminée »), cette stigmatisation structurant l’hétérosexisme qui n’épargne évidemment pas certains discours de la communauté gay (le bottom shaming). Cette stigmatisation est, pour celui qui la subit, synonyme d’angoisse, d’anxiété, de mal être et de mort psychique : « Sick of leaving out the backdoor / To avoid the laughter from people like you (…) / I’m always filled with so much worry », « backdoor » renvoyant ici à l’anus (masculin) et au plaisir qu’il peut procurer.

Boys Who Don’t Wanna Be Boys appelle à se débarrasser de cette stigmatisation, de la toxicité qu’elle implique, du mal être psychique qu’elle engendre lorsqu’elle est intériorisée (« I got the sissy boy syndrome / Get it out my system so I can renew »). De ce point de vue, la phrase « We’re all fighting from the bottom » peut être entendue dans son sens littéral mais aussi à partir d’un jeu de mot sur « bottom », le combat à partir du « bottom », pour la non stigmatisation de la position « passive », pouvant être une des conditions du combat contre l’hétérosexisme et sa nature toxique, contre la violence psychique et physique qu’il inclut.

Dans ses lyrics, Seth Bogart prend le parti d’une adresse directe, sans métaphores ou sous-texte plus ou moins « pudique » : un individu PD (porteur aussi d’une parole collective) s’adresse aux autres à partir de son point de vue et de son expérience, énonçant ce qu’un certain rapport aux autres – hétéros ou gays – lui fait subir et appelle à un renversement de ce fait.

La vidéo (réalisée par Mariah Garnett, et reprenant des éléments d’une vidéo loufoque de Toni Basil de 1982) adopte le même parti pris : pas de sous-texte plus ou moins appuyé mais directement un style dérivé du camp, sans ambiguïté ni compromis/compromission, reprenant les codes d’une certaine esthétique gay en les mettant en pratique sans intermédiaire. Les prérequis de la représentation gay filtrée par les normes de la culture hétéro sont évacués.

La vidéo, inspirée par l’esprit « sissy », mêle un certain virilisme à des traits plus féminins : des hommes exhibent leurs muscles vêtus d’un body noir et montrent leur cul ; sont juxtaposés les poils, la barbe, le rouge à lèvres ; la couleur rose voisine avec le cuir noir ; les chaînes sont bien sûr dorées ; un homme caresse les muscles d’autres hommes, est léché par des hommes-puppies (roses), prend des poses plus ou moins lascives et « féminines », vêtu de banales chaussettes noires, sur un canapé là encore rose ; tout le monde sautille, se déhanche, se montre (le placard, c’est fini) ; etc.

Il s’agit bien de faire irruption dans la représentation, sans honte, sans retenue, de manière positive – brouillant ainsi les codes et rapports de pouvoir qui structurent le champ hétéronormé de la représentation comme les subjectivités liées à l’hétérosexisme.

Dans cette défaite joyeuse du virilisme, il n’est non plus sans importance que ceux (dont l’acteur porno Adam Ramzi) qui apparaissent à l’image soient ethniquement différenciés et pourtant ensemble, réunis dans une même imagerie gay, camp, pro-bottom où chacun se balade en string ou body, affiche ses muscles et exhibe ses fesses pour le regard d’autres hommes.

Bien entendu, conformément à la culture camp, un certain humour est présent dans les images, humour qui rappelle aussi que ce qui est montré n’est pas une nature mais un ensemble de codes qui ont effectivement leur intérêt tout en pouvant évoluer, se transformer, être remplacés par d’autres.

Cette vidéo devrait être montrée dans tous les musées et lieux d’art contemporain.

Le mix de ce titre de Seth Bogart réalisé par U.S. Girls rejoint l’esprit camp et le mélange/brouillage quant aux genres : un style qui rappelle celui d’un girls-band de rock des années 60 juxtaposé à une batterie qui martèle un rythme électronique binaire et à des guitares électriques volontiers noisy.