Maxime Decout sacre le mauvais lecteur. Mais lequel ?

Il y a peu, Christine Marcandier s’entretenait dans nos colonnes de l’œuvre critique de Maxime Decout à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, Éloge du mauvais lecteur. Soit un titre paradoxal, qui est bien dans la ligne de Maxime Decout comme dans celle de la collection « Paradoxe » des éditions de Minuit. De cet « Éloge » si particulier, nous ne voudrions évoquer ici que les remarques conclusives tout en les assortissant de quelques commentaires.

Maxime Decout © Patrice Normand

Deux observations pour commencer. Ledit « mauvais lecteur » dont Maxime Decout entend assurer la formation en quelques leçons n’est pas celui que l’on croit. C’est d’abord qu’il n’est ni bête ni ignorant et qu’on ne peut lui prêter ni méprises ni bévues ; il serait même plutôt averti et cultivé, apparaissant en émule du Sartre de Qu’est-ce que la littérature ? ou de Roland Barthes du Degré zéro de l’écriture sans remonter pour autant à Flaubert, Huysmans ou Proust. Certes, ce « mauvais lecteur ne respecte pas les codes et préfère les trahir ou les anéantir. Mieux même, il adhère à toute forme de déviance philosophique ou stylistique. Mais il ne le fait qu’au départ d’une idée très haute de la littérature et de son évolution. Et Maxime Decout nous dira même que la « mauvaise lecture », qui fut d’abord et aussi une « mauvaise écriture », n’éclot avec bonheur qu’au sein ou à proximité de la bonne lecture. Et l’on espère qu’il ne s’agit pas là d’une pure précaution rhétorique. À partir de quoi, creusons le paradoxe de départ. La mauvaise lecture peut apparaître comme d’autant meilleure qu’elle se manifeste comme novatrice et comme ce qui a toute chance de renouveler la littérature et d’assurer son avenir.

Ainsi, pour Maxime Decout, ce type de mauvais lecteur serait le lecteur péréquien amateur d’énigmes et donc féru de littérature policière. Mais on pourrait aussi bien accréditer après lui une mauvaise et par conséquent bonne lecture qui serait toute de désir et de sexe. En ce cas, nous la dirions volontiers proustienne. Elle jouerait sur les fantasmes et y joue déjà en vérité. Si l’on veut, c’est Georges Bataille romancier, juste avant qu’un Pierre Klossowski, trop oublié aujourd’hui, ne l’inaugure pour son compte. Cette littérature comme la péréquienne seraient donc productrices et parfois abondamment de ce que Decout appelle des « fantômes ».

C’est bien là que notre critique conclut de façon suggestive, ouvrant à une grande liberté et empêchant de figer la lecture. Et d’écrire : « sous l’uniformité de l’expression “mauvaise lecture”, se cache une incroyable diversité de pratiques. (…). Notre tour d’horizon n’aura passé au crible que quelques manières de mal lire sans essayer de toutes les épuiser, et vous n’avez que l’embarras du choix. Voilà qui permet de comprendre plus largement qu’il n’existe pas de modèles complets de la lecture, pas de science ou de mode d’emploi. » (p. 145) C’est ainsi que Maxime Decout termine en rendant quelque peu les armes. Mais il a fort bien défendu — non sans ruse et dès son titre —  une cause qui pouvait paraître perdue. Et il l’a fait avec beaucoup de talent, un talent quelque peu pervers qui se manifestait déjà dans ses précédents essais critiques portant déjà sur des causes littéraires paradoxales, que ce soit l’imitation ou l’imposture dans la littérature.

Maxime Decout, Éloge du mauvais lecteur, éditions de Minuit, février 2021, 160 p., 16 €  — Lire un extraitLire ici son entretien avec Christine Marcandier