Les puristes seront ravis, le duo d’auteurs formé par Fabrice Tarrin et Fred Neidhardt a ressuscité un Spirou que l’on croyait disparu. Paru le 4 septembre dernier, Spirou chez les Soviets s’inscrit dans une continuité qui renvoie à Franquin, Greg et Jidéhem, avec une aventure dans laquelle les gags et les références s’enchaînent avec bonheur.
Depuis l’arrêt de la série « officielle » et le départ de Yoann et Vehlmann au profit de one-shots (si intéressants soient-ils) hétéroclites, il y avait de quoi y perdre son palombien : de sa naissance en 1938 sous les pinceaux de Rob-Vel à nos jours, Spirou a connu plusieurs dessinateurs et scénaristes et une destinée presque uchronique. De reprises en réinterprétations, les aventures de Spirou et Fantasio ont traversé le temps, l’espace, l’histoire. Au risque de « perdre » le lecteur à l’occasion qui ne savait sincèrement plus à quel Marsupilami se vouer.

Dans Spirou chez les Soviets (et l’on passera d’emblée sur le titre et l’appel au reporter d’Hergé), tout commence au cœur du château de Champignac, où le comte peaufine une nouvelle invention. Dehors, des visiteurs nocturnes coiffés d’ouchankas militaires se font menaçants. Le lendemain matin à leur réveil, Spirou et Fantasio constatent la disparition du scientifique et découvrent l’écureuil Spip sous l’emprise d’un mystérieux rayon annihilant toute volonté… Commence alors une aventure qui emporte les héros dans la Russie soviétique au temps de la guerre froide, renouant avec l’ambiance et l’atmosphère fifties longtemps indissociable (jusqu’à l’intemporalité) des aventures du groom éternel.

Ce n’est pas la première fois que les aventuriers de Dupuis passent à l’Est, Tome et Janry s’étaient bien amusés avec l’ex-URSS dans un Spirou à Moscou mémorable et plus récemment, Flix avait renvoyé Spirou à Berlin se coltiner avec la STASI (et Zantafio) avant la chute du mur. A noter que l’histoire se répète un peu : dans Spirou à Berlin comme dans Spirou à Moscou (ou Les Pirates du silence), le comte a été emmené contre son gré pour participer à l’élaboration d’une machine infernale ou d’un crime crapuleux. En RDA, il s’agit de transformer du lignite en diamant ; en URSS de convertir le monde au communisme en activant le gêne marxiste-léniniste grâce au mycologue champignacien.

Au gré des thèmes chers aux auteurs successifs, les « Spirou de… » avaient permis des appropriations teintées de considérations diverses, féministes (Fantasio se marie), historiques et mémorielles (Le Journal d’un ingénu, L’espoir malgré tout) ou écologiques (La lumière de Bornéo). Spirou chez les Soviets s’inscrit davantage dans une lignée romanesque qui rappelle les scénarios de Franquin, Jidéhem et Greg : au jeu des comparaisons, émaillé de détails savoureux et de petites phrases non moins référentielles, le Spirou de Neidhardt et Tarrin marche droit dans les traces du Prisonnier du Bouddha ou QRN sur Bretzelburg.

Mêlant joyeusement clichés gaguesques sur le communisme et la Russie soviétique (à l’instar de la leçon d’histoire hilarante en ouverture de Spirou à Moscou de Tome et Janry) et action pure, Spirou chez les Soviets est une réussite scénaristique et graphique (mention spéciale pour les décors et paysages des steppes enneigées en clair-obscur dessinés par Fabrice Tarrin tout simplement splendides). Tellement que l’on se prend à rêver d’une reprise officielle par le duo, à l’aune de cet opus tout en second degré, en hommage et en déclaration d’amour à l’âge d’or de la bande dessinée.
Fred Neidhardt & Fabrice Tarrin, Spirou chez les Soviets, 56 p. couleur, Dupuis, 12 € 50

