Retrouver la mort de Marcel Proust

Les Nouvelles Littéraires © Denis Seel

J‘ai retrouvé aussi, et cela sera le dernier de ces « Retrouver » (dont je change la forme, vous pouvez le constater, pour marquer cette fin), j’ai retrouvé aussi un numéro des Nouvelles Littéraires. En fait un fac-similé, acheté je ne sais quand, et pour je ne sais quelle raison. Enfin si, je crois deviner pourquoi : j’achète systématiquement, une monomanie, tout ce qui concerne Marcel Proust.

Ce numéro d’Octobre-Novembre 1922 est paru à l’occasion de sa mort. Quatre article y sont consacrés : « Une agonie » (Paul Morand), « Marcel Proust est mort » (Maurice Martin du Gard), « L’œuvre de Marcel Proust » (Edmond Jaloux), et un court billet de Jean Cocteau, « Le masque de Proust ».

On gardera de Paul Morand : « Pour la première fois aujourd’hui, Proust repose sur un lit à grandes cassures blanches qui n’est plus le sien (…) . Pour la première fois on a pu mettre de l’ordre dans ces cahiers à jamais précieux qui seront Le Temps retrouvé. L’ouvrier repose à côté de ses outils. Pour la première fois les portes restent béantes sans que ne se lise sur ses traits cette crispation que lui causait, même à huit clos, le moindre courant d’air dans les pièces les plus éloignées. (…) Pour la première fois des fleurs l’approchent sans qu’il les éloigne, redoutant de nouvelles crises d’asthme. »

On gardera de Maurice Martin du Gard : « Ce ne sont point seulement ses amis qui perdent à sa mort et qui se regardent aujourd’hui en silence. Rare cortège, ce sont aussi tous ceux qui doivent à Marcel Proust de se mieux connaître, d’exister davantage (…). »

On gardera d’Edmond Jaloux : « On l’a comparé à Saint-Simon, on l’a comparé à Stendhal, et ces comparaisons étaient légitimes. Mais en réalité, il ne ressemblait à personne. Il était non seulement l’esprit le plus clairvoyant, le plus averti, le plus varié qu’il fût possible d’imaginer ; mais il apportait du fond même de son tempérament, ce pouvoir d’être différent des autres qui fait les écrivains exceptionnels. De là, venait en partie son charme ; de là aussi cet air de secret répandu sur toute sa personne. »

Et on conclura avec Jean Cocteau : « Une mauvaise nouvelle pour les amateurs de désastres : Marcel Proust laisse une œuvre complète, jusqu’au point final. »

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A noter que sont annoncées les parutions d’« un livre d’un intérêt passionnant » du Dr Gina Lombroso, « L’Âme de la Femme » (1vol, 6 frs, Payot-Paris ), ainsi que « La Tragédie Légère » de Claude Roger-Marx, les « aventures poignantes d’une femme dont le charme inconscient détruit tout autour d’elle » (6 frs 75,  Albin Michel Éditeur). A noter également que La Société des Nations a entamé « la lutte contre les publications obscènes » à l’initiative du gouvernement français. « Une conférence internationale chargée d’élaborer un texte de convention et de procéder à sa signature sera convoquée à Genève. »

À noter enfin qu’un article, intitulé « Les « têtes de pont » littéraires », alerte sur la guerre qui ravage la Capitale : « Imaginez qu’un jour Paris apprenne que tous les grands journaux, que toutes les grandes revues, par suite d’une épidémie nécessaire à notre raisonnement, viennent de perdre – ou sont en train de perdre – leurs critiques littéraires, leurs critiques dramatiques, tous ceux qui solidement carrées dans leur emploi, veillent aux portes de la Renommée. Et vous voyez d’ici, comme en un film accéléré, la course au clocher, la ruée, l’assaut des ambitions, des compétitions, intrigues et des sapes, menées, manœuvres qui s’entrecroisent autour des postes vides. C’est en somme, – mais, bien entendu d’une façon moins grossière, moins déformée, – ce qui est en train de se passer, présentement, dans le monde des lettres ».

Les Nouvelles Littéraires © Denis Seel