Haine pour haine d’Eva Dolan : violence de souche

Il y avait déjà le Tell No One d’Harlan Coben, il y a désormais Tell No Tales, second polar d’Eva Dolan mettant en scène la section des crimes de haine de l’inspecteur Zigic. Deux ans après Les Chemins de la haine (Long Way Home), Eva Dolan revient avec Haine pour haine (Liana Levi) à Peterborough, ville frontière à une époque charnière au cœur d’un polar social étouffant. Ou comment l’intolérance et le mensonge se font vecteurs de violence et de désintégration du vivre ensemble.

Quand Sofia et Jelena sont prises pour cibles par un chauffard désormais en fuite, l’enquête est immédiatement confiée à l’inspecteur Dushan Zigic. Toujours flanqué de l’ombrageuse Melinda Ferreira, l’inspecteur va devoir avancer avec précaution pour résoudre une énigme qu’il est loin d’imaginer si tortueuse. Pris entre deux feux – sa direction qui veut à tout prix éviter un embrasement communautaire et une victime qui se révèle très peu coopérative –, Zigic tente de démêler le vrai du faux et de faire surgir la vérité derrière les discours policés et le mutisme des autorités.

Dans une Angleterre en proie à des démons identitaires et avec la question prégnante du sort des migrants économiques qui tentent de s’arracher à leur misère originelle, Haine pour haine n’oublie pas ses fondamentaux. On est bien dans un thriller urbain, avec une enquête de police rigoureuse et des personnages très construits : le fatalisme et l’abnégation de Zigic, le caractère impétueux et bien trempé de son adjointe, la hiérarchie ambivalente… rien ne manque pour se plonger dans cette enquête parsemée de faux-semblants.

Renouant avec l’atmosphère pesante qui nimbait Peterborough, ville industrielle en perdition, Eva Dolan s’attache à décrire les non-dits et le gentlemen agreement qui semblent présider à la destinée des communautés qui résident ici. Des Anglais qui y sont nés aux britanniques d’adoption de la deuxième, troisième génération et aux nouveaux arrivants en quête de jours meilleurs, tous s’enferment dans un modus vivendi qui ne demande qu’à exploser à la moindre étincelle de violence. Haine pour haine, c’est aussi le récit de la haine contre la haine.

Parce que le(s) coupable(s) et les mobiles sont difficiles à se dessiner, parce que les postures et thèmes embrassés ne sont pas manichéens. Parce que la vérité  est parfois grise, là où la violence est brune, torve, venant parfois de très loin. En mettant en miroir haines ataviques et intolérance populiste érigée en programme politique, Eva Dolan frappe fort et juste.

Avec un tel moteur – il n’y a qu’à ouvrir n’importe quel fil d’actualités pour s’en convaincre – nul doute qu’Eva Dolan a de quoi écrire nombre de suites aux enquêtes de l’inspecteur Zigic. Qu’importe, la haine lui va si bien.

Eva Dolan, Haine pour haine (Tell no Tales), traduit de l’anglais par Lise Garond, 432 p., éditions Liana Levi, 22 € — Lire un extrait