« Pigalle était mieux que la beauté. Pigalle est punk : sa laideur n’est rien ; son énergie fait tout — aujourd’hui encore » (Le New Moon)
David Dufresne aime à déplier les approches, formelles comme esthétiques, d’un même objet. Pensons ne serait-ce qu’à Fort McMoney qui fut successivement reportage dans la presse, journal dans le collectif Or brut (Lux, 2015), documentaire et même jeu vidéo. Cette fois, dans la foulée du livre New Moon (Seuil, 2017), un documentaire, diffusé ce soir sur Arte, nous conduit au cœur de Pigalle, de son histoire comme de ses mutations.

Pigalle, dans l’imaginaire collectif, c’est la Commune, le quartier rouge, le lieu de toutes les bohèmes, la « ville sainte de la racaille » (André Héléna, L’Aristo à Pigalle, 1954) ; un quartier qui a longtemps rassemblé artistes (peintres, musiciens, poètes), macs, filles et voyous, « ça, et les clichés à la con ». Le lieu s’est gentrifié, jouant de cette image sulfureuse comme d’un atout marketing. Les touristes s’imaginent s’encanailler, les Parisiens s’y installent, on dit même South Pigalle aujourd’hui…


Pigalle, c’est un « village à l’écart », une place, trois rues et un bout de boulevard, c’est pourtant le « centre du monde » pour David Dufresne qui l’a découvert ado à travers un club de rock, comme il le raconte dans son livre, New Moon. Café de nuit joyeux, texte dans la lignée affirmée de Georges Perec dès son sous-titre : « tentative d’épuisement du 66, rue Pigalle (et de sa succursale au 9 de la place du même nom) ». Qu’il s’agisse de la place Saint-Sulpice et son café de la Mairie ou de la place Pigalle et son Café de nuit joyeux, il s’agit d’arpenter, de rassembler notes et documents, de tisser l’infra-ordinaire d’un lieu à travers ceux qui le traversent ou y habitent, ceux qui y travaillent ou y vivent. Pigalle, dans le livre, est l’espace même du « maintenant ».
« J’avais 18 ans, l’âge où on se moque de ce que l’on se fabrique : des souvenirs, et des fantômes ; des lendemains qui hantent, et des ennemis intérieurs qui dansent. Je découvrais Paris par ce lieu, sans me douter un seul instant qu’il me marquerait autant à vie, au point de passer deux ou trois années à retracer son histoire, trente ans plus loin, à la recherche des permanences retrouvées, et non du temps perdu ; à fouiller cette adolescence en perdition pour comprendre l’adulte et le monde devenu » (Le New Moon).
Retour à Pigalle donc, sous une autre forme, avec ce documentaire qui fait du quartier une chambre claire et un punctum, avec un cinéma de poche installé sur la place Pigalle, diffusant des images d’archives en plein air (extraits de films et d’émissions de télé, chansons, concerts, images d’actualité…) et l’exposition temporaire des archives (livres, affiches de films, etc.) de David Dufresne. Le dispositif est un double musée mobile, confrontant les images et récits du passé avec les témoignages des habitants actuels du quartier, c’est un révélateur permettant de faire revivre « ce monde hors du monde » et, par extension, de lutter contre époque, la nôtre, qui voudrait « rendre populiste le populaire ».

Le documentaire, passionnant, capte l’esprit du lieu, nous fait rencontrer des figures du quartier, d’un « paradis hors des lois » sur moins d’1 km2, un espace d’aventures, de croisements et de hasards, un creuset d’anecdotes piquantes, une comédie humaine. Pigalle est, à proprement parler, un topos littéraire et cinématographique, l’espace réel est tissé de représentations et de fictions dont le film de David Dufresne rend l’énergie et la magie.
Le Pigalle. Une histoire populaire de Paris. Documentaire de David Dufresne, coprod. Arte France, Temps noir, Résistance Films, INA, 2017, 1 heure. Première diffusion le 27 mars à 22h50, disponible en Replay jusqu’au 25 mai.
David, Dufresne, New Moon. Café de nuit joyeux, Seuil, septembre 2017, 368 p. 20 € — Lire un extrait