Opening night : Pour Cyril Teste

Isabelle Adjani / Cyril Teste
C’est parfois difficile de rester à sa place, la connaître et s’y tenir. On peut déborder si vite, et il y a, je crois, trois sortes de débordements : le débordement pathologique, type border line, le débordement qui cherche un pouvoir sur l’autre et les choses, et un troisième type pas vraiment border line et dénué (autant que possible) de volonté de pouvoir, ou de désir de prédation. Je crois et j’espère que je suis avec vous dans ce dernier. 

Isabelle, ce que je «tricote » avec Isabelle dans mon désir comme un tableau ou un paysage, depuis longtemps, n’est pas quelque chose de moche. Le mot amour bien sûr ne convient pas mais aucun autre mot ne convient ici. C’est comme ça. 
 
She would be my sister, but she is not. 
 
J’ai vu, plusieurs fois, La dame aux Camélias, Marie Stuart, Kindship, les lectures de Duras à Dickinson, à Pau, à Paris, à Perpignan… sans parler du cinéma, le cinéma, ah le cinéma d’Isabelle… 
 
Ce week-end j’ai revu mon petit chou d’Ariel mon filleul, on a joué, le père d’Ariel est Emmanuel Lagarrigue qui est plasticien , mon ami le plus proche, et dans tard dans la soirée, dans la cuisine, j’essayais de lui raconter cette expérience d’Opening Night par toi, Cyril, j’essayais de raconter l’incroyable générosité de tes comédiens, comment tu suis (verbes être et suivre), comment tu les précèdes, les accompagnes, et de fil en aiguille la nuit approchant avec Emmanuel nous en sommes arrivés à ce genre de discussion qui arrive rarement, même entre amis, quand on se met à parler vraiment et simplement des choses « too much » et essentielles, la vie, la mort, le travail, l’art, les enfants ou ne pas en avoir, pourquoi continuer, durer ou pas, un sens à tout ça, comment continuer sans sens véritable… vertige… 
 
Emmanuel comme toi est un intellectuel concret, il revient très vite à la matière. Moi je pourrais facilement me perdre hors de la matière, je crois qu’Isabelle serait comme ça également, je dis bien serait, ils ont de la chance ceux qui savent revenir à la terre, humus, ça a donné humilité aussi, le plancher des vaches, la vache peut-être le plus bel animal qui soit… 
Opening Night, photographie des répétitions © Valérie Six
Je disais donc plein de choses sur cet Opening Night tel que je l’ai vu et reçu, perçu, et je disais notamment que c’est fou comme vous êtes dans ce projet Opening Night sur le plateau et du hors du plateau à la fois, à la vie comme à la scène, comment le spectacle a débuté il y a un an en réalité, je dis bien le spectacle et pas le projet, la pièce se joue depuis un an, certaines heures (ouvertes) ont lieu devant public mais la plupart du temps c’est off et bien que « off » ça reste Opening Night, une mise en scène de Cyril Teste. Je vous ai vu trouver des choses très belles et fortes et ne pas toutes les fixer pour le lendemain car vous préférez la chose nouvelle, qui surgit, plutôt que l’excellence figée. Le même mais pas l’identique. J’essayais de raconter tout ça à Emmanuel… puis il m’a montré ceci :
C’est tellement ça ! Détacher le plâtre du mur, le faire et l’idée de le faire ! Au théâtre, un des summums de la « modernité » est de briser le 4è mur, « hyper moderne mais j’ai vu ça toute ma vie », lol. C’est une fausse modernité, on fait ça depuis des années, des lustres même… mais on fait toujours semblant de croire que waou c’est vachement moderne ! Ce que tu fais avec cet Opening Night, avec tes acteurs sublimes, Isabelle, Frédéric, Morgan, c’est détacher le plâtre invisible du 4è mur ! 
Isabelle Adjani et à l’écran Zoé Adjani © Valérie Six
Je ne suis pas un critique de théâtre, ou de cinéma ou de quoi que ce soit, je suis quelqu’un qui écrit parce qu’il n’a trouvé que ça pour continuer à exister, tant bien que mal, par excès ou par défaut, et en écrivant, même si j’aime parfois raconter, simplement raconter (il existe une jouissance narrative), raconter et célébrer, je cherche aussi quelque chose, quoi, je ne sais pas bien, mais je sais que je le cherche comme quelqu’un qui serait sous l’eau à plusieurs mètres sous la surface, sa réserve d’oxygène faiblit dangereusement, les poumons comprimés font mal, il nage à la verticale aussi fort que possible, va-t-il atteindre la surface, l’air libre, le temps retrouvé, à temps ? 
 
Ce que j’ai vu à Angers pendant ces quelques jours passés avec vous m’a fait atteindre la surface, j’ai regonflé mes poumons, je suis boosté, rien que pour ça et c’est beaucoup, merci. Je rends ce mail public car ainsi il me semble que je suis en phase avec votre travail, qui casse le réel, fait reculer l’impossible, comme Myrtle / Isabelle sur le plateau cherche à retrouver ce qu’elle a perdu : « la réalité de la réalité ». 
© Valérie Six
Opening Night, actuellement en tournée, au Théâtre Le Quai d’Angers jusqu’au 16 mars, au Théâtre des Célestins de Lyon du 26 mars au 30 mars 2019, à Bonlieu scène nationale d’Annecy du 6 au 12 avril 2019, au théâtre de Nice du 24 au 27 avril, à Paris aux Bouffes du Nord à partir du 3 mai 2019…
Opening night, Marseille © Christine Marcandier
Opening Night Marseille © Christine Marcandier